Lettres
voir là. La terre leur offre le creux de ses mains pour les protéger. Il n’y a pas de division entre la mort et le groupe des « héros », car eux aussi meurent et la terre les accueille généreusement et sans distinction aucune.
Sur cette même terre, j’ai peint, avec des têtes plus grosses pour les distinguer de la « masse » les « héros » (ils sont peu mais bien choisis), ceux qui ont transformé, inventé ou créé les religions, les conquérants, les rebelles… bref, le « gratin ».
Sur la droite, on voit Amenhotep IV (un portrait auquel j’aurais dû accorder plus d’importance qu’à tout autre) qui plus tard se fit appeler Akhenaton, jeune pharaon de la XVIII e dynastie égyptienne (1370-1350 avant J.-C.) et qui imposa à ses sujets une religion contraire à la tradition, rebelle au polythéisme, strictement monothéiste, ayant de lointains échos dans le culte de On (Héliopolis), la religion d’Atoll, c’est-à-dire du Soleil. Ils adoraient le Soleil non seulement comme entité matérielle mais aussi comme le créateur et conservateur de tous les êtres vivants, à l’intérieur et hors de l’Égypte, dont l’énergie se manifestait dans ses rayons, dévoilant ainsi leur avance sur les connaissances scientifiques les plus modernes concernant la puissance solaire.
Breasted appelle Amenhotep IV « le premier individu dans l’histoire humaine ».
Ensuite Moïse, qui selon l’analyse de Freud donna à son peuple adopté la même religion que celle d’Akhenaton, quelque peu adaptée aux intérêts et aux circonstances de son temps.
C’est à cette conclusion que parvient Freud, au terme d’une étude minutieuse qui lui permet de découvrir le lien étroit entre la religion d’Aton et la religion mosaïque, toutes deux monothéistes. (Je n’ai pas su comment transposer plastiquement cette partie très importante du livre.)
Puis viennent le Christ, Zoroastre, Alexandre le Grand, César, Mahomet, Tamerlan, Napoléon et l’enfant perdu »… Hitler. Sur la gauche, la merveilleuse Néfertiti, épouse d’Akhenaton ; j’imagine qu’en plus d’avoir été extraordinairement belle, elle a dû être comme un « trésor enfoui » et une très intelligente collaboratrice de son mari. Bouddha, Marx, Freud, Paracelse, Épicure, Gengis Khan, Gandhi, Lénine et Staline. (L’ordre ne vaut pas grand-chose, mais je les ai peints d’après mes connaissances historiques, qui ne valent guère plus.)
Entre ces derniers et le « commun des mortels », j’ai peint une mer de sang, expression de la guerre, inévitable et féconde.
Enfin, la puissante masse des hommes, jamais appréciée à sa juste valeur, composée de bestioles en tout genre : les guerriers, les pacifiques, les scientifiques et les ignorants, les bâtisseurs de monuments, les rebelles, les porte-drapeaux, les porte-médailles, les parleurs, les fous et les sages, les gais et les tristes, les bien portants et les malades, les poètes et les sots, et toute la foule de ceux que vous aurez envie de voir exister sur cette puissante boule.
Seuls ceux des tout premiers rangs peuvent être plus ou moins clairement distingués ; quant aux autres, « avec un tel vacarme… on n’a pas pu savoir ».
Côté gauche, au premier plan, il y a l’Homme, le bâtisseur, de quatre couleurs (les quatre races).
Côté droit, la Mère, la créatrice, avec son fils dans ses bras. Derrière eux, il y a le Singe.
Les deux arbres, qui forment une arche de Noé ou un Arc de triomphe, sont la vie nouvelle, qui toujours bourgeonne sur le tronc de la vieillesse. Au centre, en bas, le plus important pour Freud et pour bien d’autres… l’Amour, représenté par la conque et le coquillage, les deux sexes, pris dans des racines toujours nouvelles et vivaces.
Voilà ce que je peux vous dire de mon tableau. Mais j’accepte toutes sortes de questions et de commentaires. Je ne me mets pas en colère.
Merci beaucoup.
Meilleurs vœux à Diego Rivera
8 décembre 1945
Diego, mon enfant, mon amour,
Tu sais quels cadeaux je t’offrirais volontiers, non seulement aujourd’hui mais toute la vie, mais j’ai eu cette année la malchance de ne rien pouvoir te donner qui vienne de mes propres mains et de ne rien pouvoir t’acheter qui te plaise vraiment. Je t’offre tout ce qui est à moi et que je possède depuis toujours, ma tendresse, qui naît et vit à chaque heure, juste parce que tu existes et que tu la
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