Lettres
Coyoacán et un tramway de Tlalpan… Comme j’étais jeune, ce malheur n’a pas tourné au tragique : j’avais assez d’énergie pour faire n’importe quoi au lieu d’étudier la médecine. Et sans trop m’en rendre compte, je me suis mise à peindre.
Je ne saurais dire si mes tableaux sont surréalistes ou pas, mais je sais qu’ils sont la plus franche expression de moi-même, sans jamais tenir compte des jugements ou des préjugés de quiconque. Je n’ai pas beaucoup peint et je l’ai fait sans le moindre désir de gloire, sans la moindre ambition, avec la conviction, d’abord, de me faire plaisir, et plus tard de pouvoir gagner ma vie avec mon métier. Des voyages que j’ai faits, au cours desquels j’ai vu et observé tout ce que j’ai pu, des peintures magnifiques et d’autres déplorables, j’ai tiré deux choses positives : la nécessité de faire de mon mieux pour être moi-même, et l’amer constat que plusieurs vies ne me suffiraient pas à peindre comme je voudrais et tout ce que je voudrais.
Lettre à Carlos Chávez
Coyoacán, 18 février 1947
Cher Carlitos,
Au lieu de moi, c’est cette lettre qui te passe le bonjour, portée par trois jeunes peintres, [Arturo Garda] Bustos, [Guillermo] Monroy et [Arturo] Estrada, qui ont suivi mes cours à l’École de La Esmeralda. J’aurais bien voulu les accompagner, mais malheureusement la grippe m’a mis le grappin dessus et je suis clouée au lit.
Diego et moi t’avons déjà parlé d’eux. Ils sont à notre avis les meilleurs parmi les jeunes peintres du Mexique en ce moment. En plus de leur talent, ils ont une énorme envie de travailler mais, comme d’habitude dans ce genre de cas, ils n’ont pas de « blé ». Ce qui leur plairait vraiment, c’est d’aller travailler dans le Yucatán, pour ensuite exposer ici. En fait, tout ce dont ils ont besoin, c’est qu’on leur paie le voyage et qu’on leur donne un peu de « fric » pour vivre très modestement pendant qu’ils travailleront là-bas (ils te diront combien de temps ils ont l’intention de rester). S’il t’était possible de les mandater officiellement (131) , même en ne leur fournissant que le strict nécessaire, tu leur donnerais un sacré coup de main, ils auraient ainsi l’occasion de travailler à leur gré, en ayant le gîte et le couvert assurés au moins pour quelque temps. Si tu pouvais leur arranger quelque chose, j’en serais ravie, car je sais ce qu’ils valent et je suis sûre qu’ils s’acquitteront de leur tâche, tu peux me croire, je les connais depuis plus de quatre années durant lesquelles ils ont travaillé d’arrache-pied, faisant des progrès constants, sans jamais être pédants ni prétentieux. Pourvu que tu puisses faire quelque chose pour eux, Carlitos. Je te remercie par avance, car je suis sûre que tu feras tout ce qui est en ton pouvoir… J’en profite pour te demander de penser à eux quand tu commenceras à acheter des peintures pour le musée dont tu as le projet. Je te prie de bien vouloir m’excuser si je t’embête avec mes requêtes.
Accepte mes très sincères salutations, comme toujours.
Frida
Lettre à Antonio Ruiz (132) , « el Corcito »
Coyoacán, 20 février 1947
Très cher Corcito, mon copain du fond du cœur,
En premier lieu je te salue bien bas, ensuite je veux te faire part d’un certain nombre de trucs : d’abord, je ne demeure plus à demeure, en d’autres mots j’ai procédé à l’illusoire déménagement, ayant l’intention de louer ma très chère maison du 59, rue Allende à Coyoacán, parce que, pour tout te dire, je suis dans la mou… sseline, comme tous ceux qui habitent dans les hautes plaines mexicaines, alors si tu me cherches, tu me trouveras chez la môme Cristi, au numéro 22 de la rue Aguayo, dans la très noble et ancienne cité de Coyoacán, dans une maison avec « telefunken » so called ericsson, dont le numéro est « the following » : 19-58-19. Mon séjour y est bien évidemment provisoire, car j’ai prévu de me construire dans « the future », dans la première cour de la maison que j’ai quittée et grâce à mes chers loyers, une maisonnette dont l’entretien sera moins pénible et le nettoyage plus expéditif. « You know what I mean, don’t you, kid ? » Bref, te voilà au courant de mon existence dans la rue et au numéro susdits ; alors, quand une grosse envie te prendra et que tu auras un « rime » vaguement ou
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