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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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frère est redevenu ton frère, la logique l’a emporté. Mon esprit est en ordre. Il ne me reste plus qu’à en mettre dans le pays.
    Le surnaturel a disparu. Les faits ne s’opposent plus à la raison ; au contraire, ils déroulent le fil d’une machination astucieuse, tortueuse, implacable, une véritable intrigue orientale qui ferait le bonheur d’un poète. Tout danger n’est pas encore écarté en Palestine, mais s’éloigne, en tout cas, le danger de perdre l’esprit. Lorsque tu auras fini ma lettre, tu découvriras qu’il n’y a pas de mystère Yéchoua ; il ne subsiste qu’une affaire Yéchoua. Encore n’est-ce qu’une question d’heures…
    La solution me fut suggérée par Craterios sans que celui-ci s’en rendît compte. Ne respectant pas la consigne de nos armées, il mangeait, assis en tailleur, au milieu de la cour, tandis que mes soldats criaient : « Chien ! Sale chien ! Va au réfectoire ! À la cuisine. » Lui, continuant à s’empiffrer, leur répondait calmement : « Vous êtes les chiens ! Vous rôdez autour de moi lorsque je sors ma nourriture. » J’arrivai au moment où il risquait d’en venir aux mains avec Burrus. Nous nous dirigeâmes vers les thermes.
    Le marbre fumait de vapeur.
    — J’aime les bains car là, au moins, la nudité rend les hommes égaux. Plus de toge et de pourpre pour hausser les uns et écraser les autres.
    Naturellement, Craterios trouva encore le moyen de provoquer un scandale en apostrophant des jeunes hommes aux corps huilés, superbes, qui, visiblement épris d’exercices athlétiques, s’entraînaient à lutter et soulever des poids.
    — Les beaux hommes dépourvus de culture sont comme des vases de marbre remplis de vinaigre. Vous me faites pitié ! Vous passez plus de temps à vous entraîner à devenir coureur, lanceur, qu’à devenir honnête homme. Que mettra-t-on comme épitaphe sur votre tombe ? Il était musclé ?
    Il agressa ensuite un garçon un peu efféminé qui regardait avec trop d’intérêt les athlètes.
    — La nature t’a fait homme. Tu veux empirer ton cas en devenant une femme ?
    Lorsque je réussis enfin à l’isoler dans la salle de vapeur, nous avons parlé. Il me redit son intérêt croissant pour Yéchoua, qu’il tenait pour un philosophe de première valeur, disciple de Diogène puisque son idéal était de parcourir les routes pour provoquer les hommes, les désarçonner dans leurs certitudes.
    — Comme Diogène, il a abandonné tous ses biens, abandonné sa famille. Il vivait en nomade, acceptant les aumônes. Il faisait table rase des coutumes, des conventions, il ne reconnaissait aucune loi préétablie, il estimait que la vertu est la seule richesse. Je te le dis, Pilate, ce Juif avait choisi, comme moi, à l’exemple de Diogène, le raccourci du chien.
    — Comment comprends-tu sa mort sur une croix ?
    — Il n’y a rien à comprendre. Le vrai sage ne craint pas la mort car il sait qu’elle n’est rien. La conscience ne souffre pas puisqu’elle a disparu. Avec la chair qui pourrit, c’est l’esprit qui pourrit aussi, et les désirs, et l’angoisse. Notre disparition, nous privant de toute possibilité de souffrance, doit être attendue comme une béatitude. C’est d’ailleurs le seul moyen d’être sage : envisager la mort comme une fête.
    Je lui appris alors la suite de l’histoire, la disparition du cadavre, puis la résurrection du mort, ses apparitions successives. Il haussa les épaules.
    — Impossible !
    — C’est ce que je me dis aussi. Mais comment expliquer qu’il circule, alors ?
    — Très simplement : s’il est toujours vivant, c’est qu’il n’était pas mort sur la croix.
    Je ne trouvai pas tout de suite sa consistance à l’affirmation de Craterios. Il fallut un détail, un étrange détail. De la salle moyenne nous parvinrent des cris de protestation. Je m’y rendis et découvris que les jeunes gens insultaient un vieillard, ou plutôt un squelette couvert de peau flasque, qui descendait dans la piscine aux carreaux bleu crétois. Son corps portaient des escarres, des croûtes, certaines encore purulentes.
    Les jeunes gens lui hurlaient de sortir, l’accusant de souiller l’eau avec ses blessures encore ouvertes, mais le vétéran de la centurie, trop occupé à avancer dans l’hostilité de l’eau froide, ne les entendait même pas.
    C’est alors qu’une image me revint, une image qui ne m’avait pas frappé les jours

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