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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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précédents et qui, maintenant, m’arrivait tel un poing dans l’estomac : j’avais vu, lors de ma visite à la ferme de Yoseph d’Arimathie, un grand homme pâle et blessé autour duquel s’empressaient les servantes… Et si cela avait été Yéchoua ? Yéchoua convalescent, que ni les hommes de Caïphe ni moi n’avions reconnu puisque, bien évidemment, nous cherchions un mort ?
    J’ai quitté les thermes pour travailler cette hypothèse et voici, mon cher frère, ce qu’à force d’enquêtes, je peux désormais, ce soir, te dévoiler.
    Yéchoua est vivant. Il parle. Il marche. Il respire comme toi et moi tout simplement parce qu’il n’est pas décédé.
    Revenons au jour de la crucifixion. J’envoie trois condamnés, deux voleurs et le Nazaréen sur le mont au Crâne vers midi. Yéchoua est le dernier à être hissé en croix ; on le cloue vers midi et demi. Or, cinq heures après, Yoseph d’Arimathie vient me prévenir au palais que Yéchoua ayant déjà trépassé, on pouvait l’enterrer. Cela m’arrange car les trois jours de la Pâque juive n’autorisent pas à exposer les morts. J’envoie Burrus vérifier le décès de Yéchoua. Il me le confirme. On achève alors les deux autres larrons et je donne l’autorisation de décrocher les corps pour les ensevelir.
    Or, mon médecin est formel : on ne meurt pas si vite.
    Sertorius m’a expliqué qu’un crucifié ne décède pas de ses plaies, aussi douloureuses soient-elles, ni même du sang perdu lorsqu’on le cloue aux poutres. Non, une crucifixion n’est pas une exécution mais un supplice. Le condamné meurt très lentement. Nos juristes ont proposé cette technique parce qu’une longue agonie donne le temps au criminel d’apercevoir l’horreur de ses actes. Selon Sertorius, qui aime les comparaisons médico-juridiques, la crucifixion a des vertus bien supérieures à la lapidation traditionnellement pratiquée par les Juifs. Certes, jeter des pierres aux condamnés permet aux villageois d’assouvir leur vengeance ou quelques pulsions violentes dont la purge est toujours utile, mais l’affaire est trop brièvement menée, un choc sur le crâne conduisant rapidement à la mort. La crucifixion vaut aussi mieux que le feu auquel on condamne l’homme convaincu d’adultère avec sa belle-mère, ou bien le plomb fondu dans la gorge, même si cette dernière méthode permet de conserver le cadavre et de l’exposer. La crucifixion, d’après tous nos experts, a le triple avantage de faire souffrir longtemps et de tuer quand même, tout en offrant un spectacle qui épouvante le peuple et le dissuade d’agir contre l’autorité. Sertorius ne tarissait pas d’éloges non plus sur ses vertus symboliques : lorsqu’on punit un bandit, on le cloue par les mains dont il se servait pour voler et les pieds qui lui permettaient de fuir. Bref, la crucifixion n’est pas juive, mais romaine.
    De quoi meurt le crucifié ? D’asphyxie. Le poids de son corps pèse tant sur ses bras que cela lui comprime le thorax et tétanise les muscles. Il se contracte, éprouve du mal à respirer et étouffe lentement.
    — Combien de temps prend l’asphyxie ?
    — En moyenne ? C’est difficile… il faut tenir compte de l’hémorragie, de l’inflammation des plaies, de la chaleur du soleil sur le crâne… on doit remarquer que certains poumons ou certaines têtes se congestionnent plus vite… Enfin, on peut dire qu’en moyenne, le crucifié met trois jours à mourir.
    — Trois jours ?
    — On raconte que des sujets particulièrement robustes ont râlé pendant dix jours avant de rendre leur dernier souffle, mais cela reste exceptionnel.
    — Cinq heures de crucifixion paraissent donc insuffisantes ?
    — Ridiculement courtes. On a déjà vu des crucifiés décrochés après une journée entrer en convalescence et se porter rapidement comme des charmes, excepté quelques séquelles. Aussi est-ce pour cela que l’on a inventé le bris de tibias.
    Le médecin fouilla dans ses accessoires et me rapporta un corps de cire rivé sur une croix. Il s’agissait d’une maquette pas plus haute que ma jambe. Sertorius accrocha la croix à un clou, sur le mur, puis saisit une hache.
    — Vois ce mannequin que j’ai fait mouler pour mes cours. Grâce à son appui sur les pieds cloués, le crucifié ne fait pas porter tout le poids de son corps sur ses bras. Tant qu’il a des forces, il peut se maintenir sur ses jambes, et respirer encore.

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