L'Evangile selon Pilate
n’avez donc jamais lu dans l’Écriture : De la bouche des enfants, des tout-petits, tu as fait monter la louange ? » Bien sûr, certains ont alors prétendu que Yéchoua se servait de sa connaissance des Écritures pour préparer ses répliques et ses déplacements. Mais alors, s’il n’est qu’un escroc, pourquoi prend-il lui-même le risque de prédire l’avenir ? Souvenez-vous de sa colère au Temple, lorsqu’il renversa les comptoirs des changeurs, les sièges des marchands, les barrières retenant les bœufs et les brebis, lorsqu’il expulsa les commerçants avec un fouet… S’il justifie son acte par l’Écriture : « Ma maison s’appellera maison des prières pour toutes les nations, vous en avez fait une taverne de bandits », il s’aventure ensuite à prophétiser à son tour : « Détruisez ce Temple et, en trois jours, je le relèverai. » Sur le coup, les prêtres n’ont rien compris et ils ont ricané. « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois, tu le relèverais ! » C’est pourtant ce qu’il a fait, nous ne le comprenons qu’aujourd’hui. Le Temple dont il parlait, c’est son corps. Et son corps, il l’a ressuscité en trois jours ! Trois jours !
Devant cette affirmation péremptoire, j’allais suggérer que c’était jouer avec les mots lorsqu’une pression de Claudia sur ma main me retint.
— Les prophéties exigeaient-elles aussi, demanda Claudia, que votre Messie fut exécuté sur une croix, comme un vulgaire voleur ?
— Naturellement. Isaïe nous en avait avertis. « Mon Serviteur réussira, dit le Seigneur, il montera, s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme. Il sera arrêté, puis jugé, supprimé et enterré parmi les mécréants. Maltraité, il n’ouvre pas la bouche ; comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. » Vous, les Romains et les Grecs, vous ne pouvez pas imaginer un de vos dieux s’accomplissant dans l’humiliation, vous confondez la sainteté et l’héroïsme. Mais nous, nous pouvons saisir le sens de ce supplice. Le Messie accepte la mort pour le salut de tous. Sur sa croix, il ne porte pas ses péchés, mais ceux du peuple. « Le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous, disait Isaïe. Il a fait de sa vie un sacrifice d’expiation. Il portait le péché des multitudes et il intercédait pour les pécheurs. » Parce qu’il a connu la souffrance, parce qu’il l’assume, il se charge de toutes nos fautes. Il nous demande de les reconnaître, de les expier et, comme lui, de renaître peu après. Oh, si vous saviez, même d’infimes détails de l’Écriture se sont réalisés. On disait « aucun de ses os ne sera brisé », et toi, Pilate, tu ne l’as ni amputé ni écartelé ; on l’a descendu de croix intact, je peux en témoigner, j’y étais, en compagnie de Yoseph d’Arimathie. L’Écriture disait : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé », annonçant tes légionnaires au pied de la croix. « Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur », et je peux témoigner que, lorsque ton soldat planta sa lance dans sa poitrine, de l’eau mêlée de sang jaillit de sa poitrine. N’est-ce pas merveilleux ? Pourtant cet après-midi-là, moi-même j’ai douté. Moi aussi, comme Caïphe, comme les prêtres, comme la plupart d’entre nous, j’avais attendu un Messie glorieux, un homme fort, puissant, grand général ou grand roi. Et puis, à cause de ma formation de docteur de la Loi, j’avais tendance à saisir les choses au pied de la lettre. Ainsi, quand David disait que le Messie délivrerait le peuple de ses ennemis, j’avais d’abord songé qu’il nous débarrasserait des Romains. Je n’avais pas tout de suite saisi que les ennemis dont Yéchoua délivre, ce sont les péchés.
Je ne crus pas devoir poursuivre l’entretien. J’étais allé au plus loin où je pouvais m’aventurer dans les folies juives, mais je butais sur deux choses auxquelles je ne saurais souscrire : croire en ces textes prophétiques déposés par des barbus enragés pendant des siècles sur les terres instables de Palestine ou envisager que Yéchoua, ressuscité, était l’homme providentiel annoncé par ce tissu d’âneries.
— Que vas-tu faire Nicodème ?
— Prendre
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