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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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la route de Nazareth. La semaine de sa mort, lors du dernier repas avec ses disciples, il leur a annoncé : « Une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » Nous savons donc qu’il se manifestera et parlera sur le chemin de Galilée. Maintenant, ce n’est plus nous qui attendons le Messie, c’est lui qui nous attend. Il faut simplement que je trouve une litière…
    — Pourquoi ?
    Nicodème désigna sa hanche.
    — Celle-ci n’avance plus. Elle ne supporte ni de marcher ni de monter une bête. Il n’y a guère qu’allongé que je peux accomplir de grandes distances. Et maintenant que le sanhédrin m’a spolié, je n’en ai plus les moyens. Mais je trouverai bien un ami…
    Cette infirmité m’amusa cruellement. Après cette avalanche de nébulosités religieuses, j’étais presque content de voir Nicodème buter sur un détail concret.
    — C’est curieux, Nicodème. Pourquoi Yéchoua ne t’a-t-il pas guéri lorsque tu l’as rencontré ?
    — Parce que je ne le lui ai pas demandé.
    Nicodème m’avait répondu avec candeur.
    Agacé, je lui claquai la porte au nez et nous retournâmes au palais.
    Crépuscule.
    La nuit tombe et ne m’apaise pas. Les lumières finissantes s’enfoncent dans l’horizon sans emporter mes soucis. Par la fenêtre, je vois les collines, la masse sombre des montagnes appuyées contre l’obscurité. Le silence me meurtrit ; il se tait ; il dort sur ses secrets ; il me les dissimule.
    Je t’écris et la pâleur de ces feuilles se communique à ma pensée. Je ne pense plus, j’attends. Je refuse ce choix entre une parole sage et une parole folle. J’attends que la raison me revienne. J’attends que le bon sens réorganise les faits.
    Tout à l’heure, j’ai subitement ressenti le besoin de parler avec Claudia, de l’embrasser. Mon sang s’accélérait dans ma poitrine. J’ai eu le sentiment que j’allais manquer un rendez-vous auquel j’étais convié. Je suis monté dans notre chambre et là, j’ai compris pourquoi j’avais le cœur battant.
    Claudia était partie. Elle m’avait laissé, posé en évidence sur le lit, un mot. Une branche de mimosa empêchait le papyrus de s’envoler.
    « Ne t’inquiète pas. Je reviens bientôt.»
    Comme tu le sais, je suis habitué à ces petits billets qui m’annoncent des heures de solitude forcée. Claudia est coutumière de ces fugues, je sais qu’elle ne cède qu’à des inspirations irrépressibles et je ne serais plus son époux si je m’avisais de ne pas les supporter.
    Je m’allongeai sur la couverture de soie.
    La chambre était pleine d’elle, de son parfum ambré, de son goût délicat pour les étoffes rares, les chaises sculptées incrustées de pierres colorées, les bustes étranges rapportés de nos voyages. Partout où nous avons été, au gré des mutations, je ne me suis senti chez moi que dans le lit et dans l’odeur de Claudia. Cette fois, je sais où elle se trouve. Cette fois, elle n’est pas allée suivre une caravane, ou remplacer une mère défaillante auprès de ses enfants, ou passer quelques jours au bord de la mer, la tête au-dessus d’un coquillage, cherchant son secret, absorbée dans une de ses méditations qui lui ôtent le boire et le manger. Cette fois, elle a pris la route de Nazareth…
    Je dois la laisser aller au bout de son illusion et moi chercher, ici, la solution.
    Curieusement, j’ai le sentiment que tout ainsi rentre dans l’ordre. Je me suis dédoublé. Ma force, mes muscles et mon bon sens demeurent ici, au fort Antonia, pendant que ma moitié, ma moitié rêveuse, ma moitié sensible, imaginative, ma moitié qui pourrait céder aux mirages de l’irrationnel, accompagne Claudia sur les chemins pierreux de Galilée.
    J’ai déposé un baiser sur la branche de mimosa, ne doutant pas que ma femme, où qu’elle soit, recevrait sur son front la chaleur de mes lèvres.
    Où es-tu, toi-même, mon cher frère ? Où liras-tu cette missive ? Je ne sais rien des gens qui t’entoureront alors, des arbres et des maisons qui te protégeront, de la couleur du ciel sous lequel tu me déchiffreras. Je t’écris de mon silence pour rejoindre le tien, je t’écris pour abolir la distance, aller de ma solitude à la tienne. Oui, c’est cela. Ma solitude, la tienne. La solitude. Seule chose en quoi, à coup sûr, nous sommes égaux. Seule chose qui nous sépare et nous rapproche. Porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    J’ai trouvé !
    Ton

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