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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Aussi, si l’on veut le faire mourir rapidement, on lui coupe les tibias.
    D’un coup de hache, il brisa les jambes du mannequin. La marionnette s’affaissa, tenue uniquement par ses poignets cloués.
    — L’étouffement se produit vite. On pratique le bris de tibias par sécurité avant de déclouer qui que ce soit.
    Je convoquai alors Burrus, le centurion qui avait été chargé de la vérification. Celui-ci rapporta qu’il avait coupé les tibias des deux voleurs, qui vivaient et juraient encore, mais qu’il n’avait pas tranché les chevilles de Yéchoua puisque celui-ci était déjà mort.
    — Comment pouvais-tu en être sûr ?
    — On lui a enfoncé une lance dans le cœur et il n’a pas réagi.
    — S’il n’avait été qu’évanoui, il n’aurait pas réagi non plus.
    — Bien sûr, mais la lance, on la lui a enfoncée. Rien que ça, ça aurait suffi à le tuer.
    Sertorius, comme moi, se montrait sceptique. Toute blessure n’est pas mortelle, nous avons fait assez de guerres pour le savoir.
    Je convoquai alors dans l’atelier du médecin le soldat qui avait donné le coup, un petit Marseillais trapu avec une seule longue barre de sourcils très fournis au-dessus des deux yeux.
    — Peux-tu nous montrer exactement ce que tu as fait ?
    L’homme prit la lance, s’approcha du mannequin et frappa la poitrine. La cire commença par résister mais le soldat, pris au jeu de la reconstitution, l’enfonça alors violemment.
    Il soupira de satisfaction.
    — C’est rentré plus facilement. Mais en gros, c’est ça. Je l’ai frappé au cœur.
    Je me tournai vers le médecin.
    — Qu’en penses-tu ?
    — Je pense d’abord que le cœur est de l’autre côté.
    Nous sommes partis dans un grand éclat de rire. À chaque hoquet, mes douleurs des jours précédents s’envolaient. Plus nous nous esclaffions, plus je me libérais.
    Le Marseillais se renfrogna en fermant les poings ; sous la grimace, son visage semblait encore plus obtus ; il avait moins de front qu’un singe.
    — Mais enfin, je sais reconnaître un mort, tout de même !
    — Ah oui ? dit mon médecin avec mépris. À quoi le reconnais-tu ? Moi-même je me trompe si je ne fais pas un examen précis.
    — Je t’assure que je l’ai enfoncée fort, ma lance. Et profond. La preuve, c’est qu’il en est sorti du liquide. Ça a jailli.
    — Jailli ? répéta le médecin. Eh bien, justement, un cadavre ne saigne pas. Il suinte tout au plus un sang épais, brunâtre, qui coule difficilement mais rien qui puisse gicler ! Nous pouvons donc être certains que le crucifié n’était pas mort lorsque tu as cru vérifier son décès.
    — Mais mon coup l’aura achevé !
    — Un coup de lance ne suffit pas. Raconte-nous plutôt comment tu as senti le corps lorsque tu l’as décroché. Était-il chaud ? Tiède ? Froid ? Encore souple ou déjà raide ?
    Le Marseillais devint cramoisi, s’absorbant dans la contemplation du sol. Je pris le relais du médecin et lui ordonnai de répondre sans délai.
    — Eh bien… c’est-à-dire. Ça nous aurait été difficile de nous rendre compte parce que, pendant ce temps-là… nous descendions les deux autres…
    — Quoi ! Ce ne sont pas mes hommes qui ont décloué les condamnés !
    — Ceux des côtés, ils n’avaient pas de famille, personne. Mais pour celui du milieu, le Nazaréen, il y avait plein de monde qui voulait s’en occuper… dont ce monsieur qui était venu te voir…
    — Yoseph d’Arimathie !
    — Oui, alors, comme on était pressés…
    Je ne saurais te dire, mon cher frère, si j’étais alors furieux ou soulagé. Jouant la colère, j’ai bouclé ces hommes au cachot du fort Antonia, le préfet se devant de punir tout laxisme dans l’exécution de ses ordres. Mais je supporterais mieux de perdre mon autorité que ma raison ; le soulagement de comprendre m’avait gagné. D’ailleurs, lorsque les autres soldats m’ont confirmé n’avoir pas touché le corps du Nazaréen, l’un d’eux, en voulant protester et se vanter de sa compétence, m’a encore éclairé :
    — Oh, nous, on en a décloué deux pendant que les Juifs en déclouaient un seul. On voyait qu’ils n’avaient pas l’habitude. Ils ont dû s’y reprendre à trois fois pour le gros clou du pied. Nous, on sait y faire avec la viande morte, on y va carrément. Eux, ils le traitaient comme s’il pouvait encore sentir quelque chose.
    Je me rends compte ce soir que j’ai un

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