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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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romain, de grec ou d’égyptien, c’est ce qu’ils pourraient avoir de beau, de généreux, de juste, ce qu’ils peuvent inventer qui rendrait le monde meilleur et habitable.
    Pour l’instant je m’acquitte de mes tâches. J’assure l’ordre : je menace, je surveille, je punis. Bientôt, dès que notre enfant sera né, nous rentrerons à Rome où je veux raconter, par moi-même, à Tibère ce qui vient de se passer ici. La vieille marionnette peinte ne m’écoutera sans doute pas. Claudia est d’ores et déjà persuadée que l’empereur me révoquera de mes fonctions et, bien qu’elle ait fait autrefois jouer ses relations pour m’obtenir cette promotion, elle s’en moque désormais. Son ventre s’arrondit, nous parlons de Yéchoua, elle considère l’avenir avec sérénité.
    J’avoue que je suis loin de partager son calme. Je ne peux vivre constamment à l’altitude du mont Tabor. Après tout qu’ai-je vu ? Rien. Qu’ai-je compris ? Rien.
    Je n’ai rencontré Yéchoua qu’une fois. Mais peut-on appeler cela une rencontre ? Une rencontre, c’est quelque chose de décisif, une porte, une fracture, un instant qui marque le temps et crée un avant et un après. À ces conditions, je n’ai pas rencontré Yéchoua.
    Ce jour-là, on m’avait amené un prisonnier.
    Situation mille fois vécue…
    Maître des exécutions, je pouvais accepter ou refuser la sentence de mort demandée par le tribunal religieux.
    Situation mille fois vécue…
    Les juges le trouvaient coupable, l’accusé s’estimait innocent.
    Situation mille fois vécue…
    L’ai-je seulement regardé ? Ai-je détaillé ses traits ?
    Pourquoi aurais-je ouvert plus particulièrement les yeux ? Fonctionnaire romain, je me concentrais sur ma tâche. Au nom de quoi aurais-je donné à ce moment banal une attention différente ?
    On ne voit jamais les autres tels qu’ils sont. On n’en a que des visions partielles, tronquées, à travers les intérêts du moment. On essaie de tenir son rôle dans la comédie humaine, rien que son rôle – c’est déjà si difficile. Nous étions deux acteurs cette nuit-là. Yéchoua jouait la victime d’une erreur judiciaire. Et moi, Pilate, je jouais le préfet romain, juste et impartial.
    — Es-tu le roi des Juifs ?
    — Je n’ai jamais dit cela.
    — On le dit pourtant.
    — Qui ?
    — Les hommes qui t’accusent, les hommes qui t’amènent à moi, tout le sanhédrin.
    — C’est injuste. Eux le clament, pas moi, et pour me perdre, ils me reprochent de l’affirmer.
    — Pourtant tu prétends bien fonder un royaume ?
    — Oui.
    — Alors ?
    — Mon Royaume n’est pas de ce monde.
    Il semblait triste, amer, comme dévasté par ce constat d’échec.
    Puis il se reprit et me lança avec énergie :
    — Si je voulais être roi en ce monde, j’aurais empêché qu’on m’arrête, je ne serais pas là en face de toi. Non, mon Royaume n’est pas de ce monde.
    — Tu es donc roi ?
    — Oui, je suis roi, roi d’un autre monde, d’où je viens, où je vais retourner, et qui reste, ici, à faire. Je suis venu en Palestine pour parler de la vérité. Tout homme qui s’intéresse à la vérité écoute mes paroles.
    — Qu’est-ce que la vérité ?
    J’avais dit cela comme on hausse les épaules, pour me débarrasser d’un visiteur importun. Qu’est-ce que la vérité ? Il y a la tienne, il y a la mienne, et celle des autres. En bon Romain formé au scepticisme grec, je relativisais. Toute vérité n’est que la vérité de celui qui la dit. Il y a autant de vérités que d’individus. Seule la force impose une vérité avec ses armes ; par le glaive, par le combat, par le meurtre, par la torture, par le chantage, par la peur, par le calcul des intérêts, elle oblige les esprits à s’entendre provisoirement sur une doctrine. La vérité au singulier, c’est une victoire, c’est la défaite des autres, au mieux un armistice. Mais la vérité n’est jamais une ; c’est pour cela qu’elle n’existe pas.
    — Qu’est-ce que la vérité ?
    J’avais dit cela autant pour moi que pour lui. Je me tranquillisais. Or, à ma grande surprise, ce Juif m’avait bien entendu et s’était mis à trembler.
    J’étais surpris.
    Cet homme doutait.
    D’ordinaire, les fanatiques écrasent leurs doutes en braillant leur foi. En revanche, Yéchoua se remettait sincèrement en question, semblait craindre d’avoir fait entièrement fausse route, se demandait, tout

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