L'Evangile selon Pilate
Yéchoua glissa et demeura à genoux. Il priait. Ensuite, il nous bénit. “Allez dans le monde entier, auprès de toutes les nations, et annoncez la Bonne Nouvelle à tous les hommes. Baptisez-les au nom de mon Père. Enseignez-leur ce que je vous ai dit. Vous parlerez toutes les langues, même les langues nouvelles. Si vous imposez vos mains sur les malades, ils seront guéris. Si vous prenez des serpents dans vos mains, ils ne mordront pas. Et sachez-le, je vais être avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. ”
« Et pendant qu’il nous bénissait de nouveau, il se sépara de nous. Il fut transfiguré.
« Ses vêtements aussi blanchirent.
« Après quoi, nous avons senti des présences tout autour de son souvenir. Et les présences parlaient. Et Yéchoua leur répondait. Et Yéchoua souriait comme s’il retrouvait de vieux amis.
« Nous avions beau fermer nos paupières pour apprivoiser la trop vive lumière, nous ne parvenions à rien distinguer. Mais ceux d’entre nous qui ont l’oreille la plus fine entendirent Moïse et Élie qui discutaient avec Yéchoua. Nous ne comprenions pas, nous pouvions juste saisir des mots : ils évoquaient Jérusalem, la nouvelle alliance, son départ.
« Mais cette scène ne devait pas être pour nous car un sommeil puissant, comme une grêle de printemps, s’abattit sur nous et nous coucha dans l’herbe.
« Combien de temps nous terrassa cette torpeur ? Le temps d’un froissement d’ailes ? Le temps d’une longue sieste estivale ? Quand nous avons rouvert les yeux, Yéchoua n’était plus là. »
Les onze cessèrent soudain de témoigner.
Le silence vibrait de la vision magnifique. Une émotion nous liait et prolongeait notre exaltation. C’était une de ces heures ouvertes, ces heures où l’on pourrait croire, ces heures où l’on se sent le courage de changer, de recommencer. Le ciel paraissait proche. La pluie avait cessé.
Chacun gardait, au fond de lui-même, la chaleur de ce récit, une flamme qu’il protégeait, une flamme qu’il faisait sienne.
Nous redescendîmes en silence. Il n’y avait que le silence pour exprimer ce plein que nous ressentions tous. Sinon, il aurait fallu crier, hurler sans fin.
Je sais maintenant que Claudia est proche. Que je l’embrasserai très bientôt. Pour l’heure, je ne peux pas t’en dire plus. Je t’aime, mon cher frère, et souhaite que tu te portes bien.
De Pilate à son cher Titus
J’ai retrouvé Claudia.
Elle m’attendait debout, toute droite, au milieu d’un chemin, comme si elle savait que j’allais arriver là, à cet instant.
J’ai cru que j’allais la broyer dans mes bras. Heureusement qu’elle a ri avant que je ne l’étouffe. Puis je l’ai empêchée de parler en l’embrassant longuement.
Lorsque j’ai cessé, elle a ri de nouveau.
— Tu as l’air d’un fou.
Elle m’a embrassé à son tour, à sa manière, plus féminine, plus coquette, tout en lèvres qui se donnent et se refusent. J’eus immédiatement envie de faire l’amour.
— Ne pars plus, Claudia.
— Je ne partirai plus. Tu dois t’occuper de moi maintenant. Je suis devenue fragile. Je porte notre enfant.
De Pilate à son cher Titus
Nous voici de retour à Césarée.
Tous les jours, je contemple la mer et je tente d’imaginer que Rome, toi, la maison de notre enfance et le parc aux mille cyprès, vous êtes tapis derrière l’horizon, intacts, et que vous m’attendez. Non, je ne cherche pas une excuse pour avoir cessé de t’écrire pendant plusieurs semaines ; je n’en ai pas. Sois assuré, mon cher frère, que je t’aime autant, sinon davantage. Cependant, la nécessité quotidienne de correspondre s’est évanouie ; je me suis rendu compte que j’adressais d’abord ces lettres à moi-même et que, dans chacune, je cherchais surtout à vérifier mon appartenance à Rome. J’envoyais mes pensées à ma terre pour renforcer mes racines, crier que je n’étais pas d’ici, de Palestine. Je te parlais parce que tu es toi, certes, mais aussi parce que tu es mon frère, mon image peinte, mon visage resté sur une fresque romaine.
Aujourd’hui cela me semble si vain. Être d’ici ou d’ailleurs, quelle importance ? Est-ce seulement possible ? Épouser un pays, ses particularités, c’est épouser ce qu’il a de petit. S’en tenir à sa terre, c’est ramper. Je veux me redresser. Ce qui m’intéresse dans les hommes, désormais, ce n’est pas ce qu’ils ont de
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