L'Evangile selon Pilate
nous offre une vie différente. Quelle étrange douceur…
Pas de nouvelles de Claudia. Parfois, mon cœur s’affole. Je ne sais combien de temps mettront mes messages à te parvenir… Qu’ils t’apportent, avec mes doutes et mes errances, mon affection. Porte-toi bien.
De Pilate à son cher Titus
Toujours rien.
Je me lève avec le soleil et me couche avec lui. Dans l’intervalle, je marche. Notre foule va à l’orient, puis à l’occident, monte, descend. Tous nos mouvements sont vains mais la fatigue, chaque nuit, nous empêche d’y songer et le sommeil nous recharge en espoir. En fait, personne ne sait où Yéchoua réapparaîtra. Et moi, j’ignore où m’attend Claudia.
Plusieurs fois, lors des haltes, je remarquai qu’étaient dessinés des poissons sur le sable. Je n’y prêtai d’abord pas attention, mais lorsque je perçus la répétition systématique de ce dessin, sa multiplication sous forme de cailloux assemblés, de coquilles disposées, je soupçonnai qu’il y avait là un signe.
Cachant autant que possible mon accent romain, je demandai à une femme qui portait un poisson en pendentif ce qu’il signifiait.
— Comment ? Tu l’ignores ? C’est la marque de Yéchoua. « Poisson » en grec se dit « ίχθύς», et cela donne les initiales de : « Yéchoua-Christ-Fils de Dieu-Sauveur ». Nous l’utilisons comme marque de ralliement.
J’ai songé à Fabien… Selon lui, le futur roi du monde qu’annonçaient tous les astrologues avait un lien avec le signe des Poissons. Fabien aurait-il abandonné la piste de Yéchoua s’il avait eu connaissance de ce code secret ?
Porte-toi bien.
De Pilate à son cher Titus
Je n’ai toujours pas retrouvé Claudia mais j’ai la réponse à la question de ma lettre précédente.
Assis pour bivouaquer au bord du chemin, j’avais, accablé par la chaleur, enlevé mon capuchon lorsqu’une main me tapota l’épaule.
— Mon bon Pilate, je n’aurais jamais pensé te voir avec une barbe.
Fabien, le beau cousin de Claudia, me contemplait avec son visage ouvert de Romain bien nourri de femmes et de viandes. Sans attendre ma réaction, il s’accroupit en face de moi, ordonnant à ses esclaves de parquer leurs mules dans le champ voisin.
— Quelle déception ! Non, excuse-moi, Pilate, mais je crois que Claudia nous a mis sur une mauvaise piste. Un roi, ce Yéchoua ? Incapable de tenir une lance, de diriger une armée. Au lieu de profiter de l’insondable crédulité du peuple à son égard, il se fait rare, mystérieux et maintenant il annonce son proche départ ! Quelle incohérence ! Quel manque d’opportunisme ! Et cette phrase, cette phrase idiote, si, si, je t’assure, il l’a prononcée, comment est-ce ?… « Aime ton prochain comme toi-même, y compris ton ennemi. » Absurde ! Inconséquent ! Un roi n’est roi que parce qu’il a des ennemis, qu’il en triomphe et qu’il s’en fait respecter. Un roi n’aime pas ! Non, ce garçon n’a décidément aucun avenir politique.
Fabien était si convaincu qu’il ne cherchait même pas mon assentiment. Il se releva.
— Je pars chercher du côté de Babylone. Ces gens-là ont une réputation d’excellents guerriers. D’eux pourrait venir le Roi annoncé par les devins.
Il époussetait sa toge, si convaincu de sa bonne décision que je ne pris même pas la peine de lui mentionner ma découverte concernant le signe des Poissons.
— Cela dit, Pilate, je ne suis pas mécontent de te voir arriver dans les parages. Sans me mêler de ce qui ne me regarde pas, tu aurais tout intérêt à ce que les idées de ce Juif ne se diffusent pas. Il propose une morale dangereuse, qui pourrait bouleverser tout l’équilibre de notre monde si elle avait le moindre écho : il prétend que tous les hommes sont égaux. Tu entends, Pilate ? Te rends-tu compte ? Aucun homme ne vaut mieux qu’un autre ! Cela veut dire qu’il attaque l’esclavage ! Imagine qu’on l’écoute, il pourrait provoquer une révolte, mettre tout l’ordre à bas, devenir un Spartacus qui réussit. Car la faiblesse de Spartacus, c’est qu’il restait un esclave qui avait ameuté des esclaves, tandis que ce Juif libre s’adresse à la terre entière et prétend briser toutes les chaînes. Méfie-toi, Pilate ! Surveille-le ! Bou-cle-le !
— Je l’ai déjà crucifié. Que puis-je faire de plus ?
Fabien me regarda longuement. Se repassant ma réponse dans son esprit, il tentait de
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