L'Evangile selon Pilate
comme avant. Nous nous retrouvions, à la fin du jour, loin du village, auprès du lac où j’avais le sentiment que la paix nous gagnait, que je saisissais dans les eaux mauves du crépuscule le silence réconfortant de Dieu, celui qu’on trouve au fond de la prière, comme deux mains jointes sous le ciel étoilé.
Nahoum l’apprit et vint hurler après moi.
Il me terrorisa.
N’étais-je pas devenu un monstre de vanité ? Était-il normal de prétendre trouver la vérité en moi et non plus dans les Livres ? Comment me fier autant à moi ? J’avais besoin de me purifier, j’avais besoin d’une aide, d’un guide, ou même d’un maître. Il fallait que j’aille voir Yohanân pour me laver de mes péchés.
J’ai suivi le cours sinueux du Jourdain.
Plus j’avançais, plus le chemin se grossissait de voyageurs, le flot des hommes s’épaississant plus vite que le fleuve, des marcheurs qui déboulaient de toutes parts, de Damas, de Babylone, de Jérusalem et d’Idumée.
À Béthanie, un campement s’était improvisé : quelques tentes, quelques feux, des familles entières, des centaines d’hommes et de femmes.
La silhouette de Yohanân le Plongeur se découpait au milieu des eaux basses, les jambes écartées, dans un enclos du fleuve dominé par les gorges rocheuses.
De grandes files de pèlerins se tenaient sagement, silencieusement, sur la berge. Seuls les appels criards des oiseaux traversaient les eaux.
Yohanân ressemblait à une caricature de prophète : trop maigre, trop barbu, trop hirsute, couvert d’immondes peaux de chameau autour desquelles bruissaient et voltigeaient des mouches attirées par la puanteur. Ses yeux immenses gardaient une fixité gênante. Sa rusticité paraissait tellement ostentatoire qu’elle sentait la pose. Humilié, j’assistais à la parodie de tout ce que je souhaitais, un simulacre de mes plus hautes aspirations.
Je détaillai la foule des pèlerins. Étonnamment, il n’y avait pas là que des Juifs, mais des Romains, des Syriens mercenaires, bref des gens qui n’avaient jamais pratiqué la Torah, ignorant tout de nos Écritures saintes. Que venaient-ils chercher ici ? Que pouvait leur promettre le Plongeur que leurs cultes ne leur donnaient pas ?
Je m’approchai des deux derniers pèlerins qui attendaient leur tour sur la berge.
— J’y vais, dit le gros.
— Moi, je n’y vais pas, répondit le maigre. Après tout, je ne vois pas pourquoi je me ferais purifier, je respecte tout de notre loi.
— Misérables ! Puits de prétentions et d’ordures !
La voix de Yohanân le Plongeur nous parvint, tonitruante. Il devait avoir une ouïe fine car on pouvait douter qu’à cette distance un homme, à travers l’air battu par les eaux du fleuve, pût entendre.
Yohanân le Plongeur vociférait à l’adresse de l’efflanqué :
— Engeance de vipère ! Sale porc ! Tu te crois pur parce que tu te tiens aux formes creuses de la Loi. Il ne suffit pas de se laver les mains avant chaque repas et de respecter le Sabbat pour se garder du péché. Ce n’est qu’en te repentant dans ton cœur que tu peux obtenir la rémission de ton péché.
Ce discours-là me toucha comme une piqûre de taon. N’était-ce pas ce que je pensais, tout seul, depuis des années ?
Yohanân le Plongeur continuait, son grand corps maigre secoué par la colère, une colère inépuisable, alimentée au sentiment de l’impiété. Il m’apparut clairement que, si Yohanân outrepassait le titre de prophète, il devait être un homme droit.
Le maigre pèlerin, surpris de déclencher un tel déluge d’invectives, regardait son compagnon, gêné, sans plus savoir quoi faire.
— Approche, hurla Yohanân.
L’homme fit quelques pas dans l’eau.
— Et nu ! Nu comme tu sortis du ventre de ta mère !
L’homme, sans comprendre lui-même pourquoi, obéit, se délesta de ses vêtements et avança vers Yohanân qui saisit son crâne dans sa grande main osseuse. Il regardait l’efflanqué dans les yeux, plus attentif que s’il y enfonçait un clou.
— Regrette tes péchés. Espère le Bien. Veux la rémission. Sinon…
Que se passa-t-il en l’homme, peur, acquiescement ? Toujours est-il qu’il sembla se livrer à un sincère repentir et Yohanân, après quelques secondes, l’enfonça durement sous l’eau, l’y maintint si longtemps que des bulles s’échappèrent du fond. Enfin, il le laissa remonter, haletant, à la surface.
— Va. Tu es
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