Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
qu’il ne pouvait, lui, s’offrir qu’au jugement de Dieu. Il chercha donc un lieu où il pourrait se rendre et se mettre en péril. Toulouse lui parut un champ clos acceptable. Là étaient d’Alfaro et le comte Raymond, Jean de Falgar l’évêque, des espions, des Français et des nobles d’Ariège aussi défaits que lui.
    Là et nulle autre part le bruit de leur massacre ferait trembler durablement les murs. Tandis qu’il chevauchait sur le chemin large, il voulut annoncer leur séparation proche à son frère impassible qui galopait sans hâte à son côté. Au bord des mots il hésita, demanda où ils allaient ainsi.
    — À Saint-Félix, répondit Pierre. Nous avons grand besoin de vivres et de repos. Je connais le curé, il nous accueillera.
    Un court moment il resta silencieux, puis dit encore à voix tranquille, regardant alentour la paix fleurie des friches :
    — Tel que je te connais, tu ne vas pas tarder à t’en aller tout seul.
    Jourdain arqua la bouche et le cœur trébuchant lui répondit d’un trait :
    — Je dois d’abord parler avec Bernard Marti.
    — Dieu fasse qu’il te lave.
    — Il ne le pourra pas.
    — Il t’aime.
    — Il a trahi, dit Jourdain.
    Et parlant à la brise :
    — Il aurait dû se retirer dans une grotte de la montagne et nous laisser tout seuls avec nos basses œuvres, qu’au moins nous soit gardé un homme juste dans ce monde, qu’au moins soit préservée une lumière sûre, quelque part où nous puissions aller.
    Et Pierre, au même vent :
    — C’est vrai. Il a eu tort de nous bénir avant les meurtres. Mieux aurait valu qu’il nous pardonne après.
    Jourdain le regarda, l’œil noir, les sourcils hauts, comme si venait d’être dite une étonnante incongruité. Derrière eux parmi la troupe un homme se mit à chanter un chant rugueux et sombre. Tandis qu’ils s’engageaient dans un bouquet de pins, des voix éparses s’unirent à la sienne, prirent un envol poignant, retentirent dans l’air ombreux, puis refluèrent et s’éteignirent une à une dans les profondeurs des poitrines, étouffées par des nostalgies inexprimables.
     
    Au-delà des arbres penchés apparurent dans l’éblouissement du matin une maison forte à la large carrure et sur le flanc de la butte où elle était plantée un enchevêtrement de murs et de toits ocre autour d’une église au clocher rustique. Pierre battit la croupe de sa jument, dévala le premier, par le sentier pierreux, vers les champs de blé où étaient des hommes et des femmes courbés sur des épis. Le bruit de la cavalcade les fit se redresser. Ils regardèrent venir la longue file armée, puis brusquement quelques-uns abandonnèrent leurs outils et vinrent sur le chemin tandis que d’autres brandissaient leur pioche dans le ciel en poussant de maigres cris d’allégresse, et que des enfants poursuivis par leurs mères s’en allaient au village, courant et bondissant par-dessus les murets. Comme les cavaliers arrivaient parmi ces gens, un vol de sonnements grêles et joyeux envahit l’air léger. Au milieu des pauvres qui l’accompagnaient Pierre se prit à sourire, droit sur sa monture, les yeux emplis de larmes. Et derrière lui à nouveau monta le chant des hommes.
    Sur la place où se pressaient des matrones, des garçons fureteurs et des chiens turbulents, des hommes revenus des champs et des jardins, des filles au bord du puits, les mains mouillées en auvent sur le front, le curé Audebert vint au-devant de Pierre dans l’ombre de l’orme, lui ouvrit les bras en bombant le ventre et les yeux rieurs lui dit à grosse voix, tandis que les guerriers de la troupe descendaient de cheval :
    — Viens là, mon fils, viens que je te maudisse, toi le meilleur des hommes ! Jamais mauvaise action ne fut si bien menée. Sacré nom d’un printemps, il faut que je t’embrasse !
    Ils s’étreignirent longuement en se grognant des affections paternes, puis le prieur prit son compère par le bras, et l’entraînant au soleil poussiéreux il lui confia avec force gestes et mines excessives que depuis l’aube où des gens d’Avignonet étaient venus lui annoncer la nouvelle ses genoux n’avaient pas quitté les dalles devant la sainte table ni son regard la face du Christ.
    — J’ai récité à haute voix, comme je le devais, quatre-vingt-douze oraisons pour le repos de mes frères inquisiteurs, dit-il. Puis, avant que ma langue ne soit tout à fait parcheminée, je me suis permis une

Weitere Kostenlose Bücher