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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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prière privée pour que me vienne ta visite. Tes gens se sont conduits en brigands serviables, Pierre. Ces clercs n’avaient que trop massacré. Sais-tu que leur folie, ces temps derniers, était allée jusqu’à me soupçonner, moi, Audebert, curé de ce village depuis vingt-deux années, de cacher des poux dans mon amour pour notre Jésus ?
    Il s’arrêta au pied de l’escalier court qui montait au portail de l’église, joignit les mains sous le menton, prit le ciel à témoin, l’air consterné, puis presque aussitôt laissa Dieu dans ses nues, et son bon sourire à nouveau l’éclairant il saisit Pierre au ceinturon, le força à s’asseoir près de lui sur le perron et se mit à contempler la place avec une satisfaction de père fortuné. Partout les villageois s’occupaient des chevaux, leur bouchonnaient la croupe et les menaient au foin des granges, tandis que des sergents buvaient à même les seaux d’eau puisés par les filles et que d’autres, un moment invités dans l’ombre des maisons, ressortaient en trébuchant aux volailles avec des cruches brandies, des boules de pain et des quartiers de viande salée.
    Pierre chercha Jourdain, l’aperçut au pas d’une porte en compagnie de trois femmes qui lui parlaient ensemble, et minaudaient, et se rengorgeaient en arrangeant leur chignon sous la coiffe. Comme il se plaisait à l’observer, il le devina si captivé par ce que lui disaient les jeunes mères qu’il en fut intrigué. Il lui apparut alors que son Jourdain ne savait pas écouter sans passion. En vérité, Pierre l’avait toujours vu ainsi, bien qu’il n’y ait jamais pris garde : de pied en cap attentif aux discours des hommes saints autant qu’aux bavardages des commères. Accoudé à ses fortes cuisses sur les marches tiédies par le soleil il se prit à sourire aussi béatement qu’Audebert le faisait à s’emplir les yeux du contentement de ses ouailles, puis lui vint à l’esprit que peut-être ce frère farouchement aimé qu’il voyait fasciné par l’intarissable babil des trois ménagères ne cherchait parmi ses semblables, avec l’espérance obstinée d’un assoiffé perpétuel, qu’une seule parole, celle qui par miracle lui ouvrirait le cœur. Et pour s’appliquer ainsi à n’en négliger aucune, sans doute s’imaginait-il ingénument que la merveille illuminante pouvait lui venir de n’importe où : d’une bouche d’enfant, d’une apparente futilité de fille, d’un grincement de vieillard, d’une pure sentence. Une des femmes, d’un geste simple, l’invita à entrer. Il fit « non » de la tête. Les autres lui prirent les mains et sans qu’il n’ose résister l’entraînèrent dedans.
    — Curé, dit Pierre, qui demeure à la maison forte ?
    — Personne, répondit Audebert. Elle est propriété de Durand de Beaucaire, l’évêque d’Albi. Dieu merci, il n’y vient jamais.
    — Quand nous aurons gagné la guerre, dit Pierre en se levant tout droit, je la ferai donner à Jourdain du Villar.
    Le prieur leva vers lui la tête, rit en silence de le voir ainsi, tant rêveur que benoît, fermement assuré dans son âme contente, puis il lui désigna des hommes qui sortaient en courant d’une ruelle en pente, chargés de planches et de tréteaux, de nappes et de bancs, de tonnelets de vin et de corbeilles lourdes. Les sergents les accueillirent à grands cris innocents et paillards et s’empressèrent de les aider, l’un prenant à lui seul deux fûts portés par quatre, l’autre avec des compères déployant des draps blancs, tandis que les matrones tiraient les enfants hors de l’ombre de l’orme où l’on dressait la table, et couraient en tous sens, et se laissaient poursuivre en piaillant dans l’air bleu.
    Jourdain un gobelet au poing sortit de la maison des femmes. Comme il restait sur le seuil à cligner les yeux devant l’affairement joyeux qui emplissait la place, Pierre s’en vint vers lui d’un pas de seigneur en promenade. À côté de son compagnon il s’adossa au mur, se tint muet un long moment, puis :
    — Vois comme ils sont contents, dit-il.
    — Prends garde que nos hommes ne s’enivrent, lui répondit Jourdain. Pour nous, il n’est plus de chemin sûr désormais, et la route est longue jusqu’en Ariège.
    — Jouis un peu, que diable ! Profite de la paix.
    — Pierre, je ne peux pas.
    Ils se turent encore, chacun laissa longtemps errer sa rêverie dans les mille soleils où s’ordonnait la

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