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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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alourdis de vins et de mangeailles, serrant des mains du haut de leurs chevaux, emportant en secret dans leurs crânes étonnés de ces regards de femmes où le désir s’avoue d’autant plus hardiment que les hommes s’en vont sans espoir de retour. Ils chantèrent en chemin de nouveaux chants de cœur au vent, rudes et lents, mais ne parlèrent point. Seuls vinrent à leur rencontre dans la brise fraîchie quelques colporteurs à dos d’âne qui se rangèrent, leur chapeau craintivement ôté, sur le bas-côté de la route pour les laisser passer. Aux abords du crépuscule, parvenus sur un plateau aux horizons brumeux, ils découvrirent au bout du sentier un hameau sans église planté parmi des rocs, des coquelicots et des avoines dont les ondulements se perdaient au loin, sous le ciel bas. Ils firent halte à la lisière. Tandis que les chevaux délivrés de leurs selles broutaient l’herbe haute à l’écart des sergents serrés ensemble au creux profond d’un champ, Jourdain et Thomas, tirant leurs bêtes à l’abreuvoir, s’enfoncèrent seuls entre des pans de murs peuplés de chiens errants. Ils débouchèrent presque aussitôt sur une petite place ceinte de quelques bâtisses. Là n’étaient qu’un homme occupé à l’affutage de sa faux et une femme lasse qui traversait l’aire battue en traînant des seaux d’eau parmi les porcs et les volailles.
    Ces gens ne parurent point savoir qui ils étaient. Thomas voulut l’apprendre à l’homme, mais, comme l’autre, après un coup d’œil malveillant à sa figure, se détournait de lui pour faire luire sa longue lame courbe aux derniers feux du jour, le garçon s’en vint vers la femme qui avait posé ses fardeaux débordants contre ses jupes et regardait avidement les visiteurs en essuyant ses mains à son tablier. Elle lui demanda, tandis qu’il s’approchait :
    — Vous venez du monde ?
    Thomas, déconcerté, se prit à rire sottement. L’homme en maugréant s’enfonça dans l’obscurité d’une grange. Des lucarnes ouvertes vinrent des bruits dans l’air du soir : chocs de vaisselle, raclements, vieilles toux. Jourdain cria :
    — Y a-t-il ici quelqu’un qui veuille nous parler ?
    Ils écoutèrent, n’entendirent plus, dans les masures, que vie suspendue, rares crépitements de bûches, fuites brèves.
    — Peut-être connaissez-vous Bertrand, dit derrière eux la femme venue tout près sans qu’ils l’aient entendue. C’est mon fils. Il est parti. Peut-être savez-vous où il est.
    Elle eut un geste malingre et désolé pour désigner l’immensité de l’espace au-delà des maisons, l’infini des chemins sous mille cieux et vents, et tant de saisons indifférentes à son attente, à son espoir éperdu d’entendre un jour une nouvelle de ce fétu de vie à jamais envolé dans l’univers sans bornes. Elle sourit un peu, serra son vêtement contre son cou flétri et dit encore :
    — Il me ressemble beaucoup.
    — Dieu le garde, bonne mère, lui répondit Jourdain.
    Elle fit « oui » de la tête et revint à ses seaux. Thomas s’en fut chercher les chevaux qui buvaient à l’auge sans cesse emplie d’un jet de source. Tandis que Jourdain le rejoignait, une voix d’homme se mit à tonner dans la maison où la femme était entrée.
     
    Au pas de leurs montures ils s’en retournèrent sur le sentier pierreux jusqu’au bord du champ où était une ruine de bergerie. Là ils hésitèrent à rejoindre la troupe dans les hautes herbes, puis Jourdain délia sa couverture sur la croupe de son cheval. Tous deux s’installèrent au pied du vieux mur. Dans la nuit calme et noire où crissaient des grillons ils partagèrent leur pain, quelques pommes acides. Quand ils eurent mangé ils s’allongèrent côte à côte et restèrent muets à contempler les scintillements des astres dans les ténèbres.
    — Mon maître, dit Thomas après longtemps de silence, croyez-vous qu’il y ait autant de chemins sur terre que d’étoiles au pays de Dieu ?
    Jourdain lui répondit, les yeux perdus :
    — Il y avait un Bertrand dans la chambre des moines.
    — Croyez-vous qu’il était le fils de cette femme ? demanda Thomas.
    De la crête du mur dans un frisson soudain un oiseau s’envola. L’herbe bruissa tout près, les insectes se turent, puis leur chanson timide à nouveau grésilla dans la nuit rassurée.
    — Je sais bien que ma mère est en souci de moi, murmura Thomas.
    Il renifla, dit encore, la voix

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