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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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cénacles où se nouaient ces alliances politiques dont il avait si grand besoin et intriguer aussi subtilement que possible. Cependant, comme il échafaudait des projets incertains dans l’obscurité de la chambre, il ne tarda guère à s’estimer de franchise trop rustique pour avoir quelque chance de se concilier l’un ou l’autre de ces personnages qui décidaient du temps sur la tête du peuple. Il n’avait ni l’aisance des cyniques savants ni l’insouciance de scrupules des stratèges. Son cœur ne savait pas faire semblant de battre. Il se dit cela, et lui revint tel regard de Jacques d’Alfaro où il avait vu luire une lueur d’amitié inattendue. Il ne détestait pas cet homme, bien qu’il lui parût en tout point détestable. De fait, il percevait en lui des failles et des nostalgies émouvantes et le plaignait un peu malgré ses arrogances. « Il n’est pas assez froid pour être un vrai démon, se dit-il, et certes il m’aidera plus ouvertement à secourir ceux de Montségur que Sicard n’osera jamais le faire, pour peu que j’encourage un bon feu réchauffant au milieu des buissons qui lui encombrent l’âme. » Un sourire narquois vint à ses yeux ouverts. « Honte sur moi, pensa-t-il encore, me voilà tenté de jouer les séducteurs fourbes. » Jeanne à nouveau gémit et fit la chattemite. Tandis que le sommeil peu à peu l’engourdissait, seules lui demeurèrent présentes cette chaleur de femme et la pensée de son ventre précieux. L’assassinat des clercs, la guerre inutile, les labyrinthes de manigances où se plaisaient les maîtres du pays, le péril mortel enfin où se trouvaient les siens dans leur citadelle céleste, tout cela lui tomba comme un fardeau défait à côté de la tête. Seul lui resta son fils, au loin, qui l’attendait dans l’innocence simple où tout germe et tout meurt.
    Le lendemain quand il s’éveilla il se trouva seul sur la grande paillasse. Le jour illuminait la trappe près du lit. Il descendit l’échelle. Un oiseau s’envola du bord de la lucarne. Sur la table était une cruche de lait coiffée d’une galette de froment. Des bûches brûlaient entre les pierres de l’âtre. Le plancher de la salle était propre, encore çà et là mouillé de grande eau ménagère. Partout dans l’air du logis Jeanne avant de partir à son travail avait inscrit son bonheur d’être sa compagne. Vint à l’esprit de Jourdain qu’aucune femme avant elle n’avait cherché à atteindre ion cœur par d’aussi humbles chemins. Il en fut amusé, allègre, un peu perplexe.
     
    Après qu’il eut déjeuné il s’en fut par la ville en quête d’un barbier. Parmi les boulangers, les maréchaux-ferrants, les marchands d’eau errants et les apothicaires aux échoppes renfoncées dans les façades de la rue des Sesquières, il en aperçut un sur le pas de sa porte qui tenait haut le nez d’un fantassin noiraud et lui raclait la face à grands envols de lame. À leurs pieds dans le soleil poussiéreux s’ébattait une nuée de poules qu’effrayaient sans cesse les chariots et les cavaliers, et qui s’envolaient en caquetant jusque sur les genoux du soudard. L’étrilleur, sans souci de l’inconfort de son homme, conversait d’abondance avec ses voisins boutiquiers. Jourdain, s’approchant d’eux, entendit qu’ils parlaient de la guerre et des châteaux français repris en Lauragais. Il s’assit dans l’ombre du seuil, près du fourneau de terre où chauffait un chaudron. Les uns autour de lui doutaient du sort des batailles en cours. Ils grimaçaient, prétendaient que le comte de Toulouse tardait par trop à engager ses troupes. Les autres s’exaltaient des victoires acquises, partaient d’un pas et revenaient, appelaient Foix et ses loups d’Ariège à la rescousse de leurs violents espoirs.
    — L’Église est avec nous, dit le barbier. Notre comte Raymond est prudent. Il n’aurait pas entrepris de chasser les gens du roi de France s’il n’avait pas dans sa besace le pain bénit qu’il faut.
    Comme un étendard au vent il déploya une serviette chaude sur la figure du soldat, tandis que tous ensemble jugeaient son opinion saugrenue et le moquaient en riant. L’autre, opposant noblement sa bedaine à ce déferlement de railleries, attendit qu’elles s’éteignent puis, le ton docte et la voix sonore, il prétendit que son épouse était lingère au palais de l’évêque et qu’elle avait surpris ces jours derniers des

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