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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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diable ! et point écervelé. Maître Sicard Lalleman ne vous a-t-il pas conseillé ? Ne froncez pas le nez, j’ai appris ces jours-ci que vous étiez parents. Montrez-vous donc aux messes, faites-vous avenant, frayez assidûment avec quelques chanoines, vous devez en connaître. Ainsi vous deviendrez un homme fréquentable, et le comte Raymond apprendra à vous estimer. Voulez-vous que je vous serve de guide dans nos cours et nos salons ? Je le ferai de bon cœur, mais il vous faut d’abord renoncer à l’hérésie. Croyez-moi, messire du Villar, c’est une cause perdue.
    — Monseigneur, lui répondit Jourdain, seuls me soucient les gens que j’aime, et ceux que l’on persécute pour leur façon de croire en Dieu. Et s’il se trouve que j’ai de l’affection pour quelques parfaits parmi ceux qui vivent à Montségur, plus que leur doctrine m’importent leur bonté et les grains de vraie lumière qu’ils ont pu récolter en ce monde, à force de patience. Autant qu’eux m’a nourri autrefois, à Jérusalem, un mendiant aveugle dont j’ignore la religion. Et si me venait un jour un saint catholique, sans hésiter je le prierais de me donner aussi la becquée.
    Il sourit, l’œil luisant, confus de s’être ainsi confié, se détourna du regard vif qui le scrutait et ajouta :
    — Je suis, vous le voyez, un croyant solitaire.
    — J’ai senti cela, dit d’Alfaro avec une sorte d’admiration inquiète.
    Et revenant à son humeur mondaine :
    — Peut-être le moment venu pourrons-nous sauver quelques-uns de vos amis. Par estime pour l’homme que vous êtes, je vous aiderai à ces bonnes œuvres. Mais vous devrez d’abord sortir de guerre en vie, messire du Villar, et pour cela il vous faut dès maintenant entendre certaines choses qu’il ne m’est point aisé de vous dire.
    Il reprit Jourdain par le bras, l’entraîna le long de l’ombre que la brise parfumait, et quand fut passé l’arbre où bavardaient les moines et les sergents de garde :
    — Notre bien-aimé comte de Toulouse a certes désiré cette révolte que nous avons allumée dans mon château d’Avignonet. Mais il en espère plus que la reconquête de ses terres, sachez-le, ami, sachez-le bien. L’unique souci de mon presque frère est d’obtenir de l’Église le pardon de notre père et son repos en sépulture chrétienne. Quel prix croyez-vous qu’il lui faudra payer pour cette grâce ? Dès qu’il se verra reconnu dans son nouveau règne, au pape il offrira, en charniers, en bûchers, en brassées d’ossements, le plus grand festin d’hérétiques qui se puisse imaginer.
    Jourdain retint son pas et demeura planté, le regard égaré entre ciel et verdure. Un moment il se tint ainsi, puis il sourit au lointain et dit, tranquille et sûr :
    — Cela ne peut pas être.
    — Cela sera, mon bon, répondit d’Alfaro.
    — Il a fait des promesses à ceux de Montségur.
    — Il ne les tiendra pas.
    — Il les tiendra. Il a besoin de nous pour chasser les Français.
    — Il le sait. Il joue juste. Il vous pousse devant. Ne comprenez-vous point ? À peine la victoire acquise il se retournera contre vous, et ces superbes fous qui ont tué chez moi deux grands inquisiteurs et huit clercs de leur suite seront tous livrés aux nouveaux tribunaux. Selon le sentiment de monseigneur le comte, ils paieront la première goutte de cette eau bénite qu’il espère tant voir ruisseler un jour sur le cadavre de son père.
    Jourdain resta muet, les tempes bourdonnantes. Longtemps, tandis qu’au bord du toit pépiaient des oiseaux, il écouta gronder dans son esprit d’irrépressibles débâcles. Il dit enfin, triste et glacé :
    — N’avez-vous pas été notre guide à ces meurtres ?
    D’Alfaro se hissa sur la pointe des pieds, chassa devant son visage une mouche invisible et répondit :
    — Médisances.
    Il rit, à petits coups nerveux. Du bruit se fit à l’entrée de la cave. Il saisit tout soudain Jourdain par les poignets.
    — Je peux beaucoup pour vous, n’oubliez pas cela, murmura-t-il, déjà à demi détourné vers la porte basse que franchissaient les deux écuyers.
    Le comte de Toulouse, tenant son long manteau serré contre ses bottes, sortit de l’ombre froide, et les yeux éblouis resta tout indécis à flairer le soleil.
    — Venez là, mon frérot, lui lança d’Alfaro. Avez-vous bien prié ?
    Il l’étreignit contre son épaule avec une affection un peu moqueuse,

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