Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
chandelle, s’agenouilla sur la couche. Il s’assit devant elle, resta tête basse à ruminer encore. Elle lui prit la main et la baisa. Son regard s’illumina timidement. L’observant, l’œil pointu, il se prit à penser avec une tendresse mêlée d’agacement que seules les femmes savaient ainsi amadouer le malheur et le vider patiemment de son venin à force de gestes quotidiens, de doux entrain, de simplicité d’être. Elle, gênée qu’il la regarde avec cette insistance, se mit à prier sans paroles pour la sauvegarde de ceux d’en haut : Mersende, Béatrice et le jeune Thomas. Mais elle se trouva peu à peu harcelée par l’inquiétude de son propre avenir, de celui de son homme, de celui de l’enfant. À son ventre où était cet être mystérieux et déjà tant aimé elle se prit bientôt à répéter en litanie obstinée, comme penchée sur un berceau, qu’il n’avait rien à craindre car son père était fort et le monde accueillant malgré le mauvais sang dont il était souvent souillé. Elle se tint ainsi à parler dans son cœur jusqu’à ce que Jourdain soupire enfin et grogne :
    — Tu as sacrément bien fait de quitter la montagne.
    Elle lui répondit :
    — S’ils doivent tous mourir, c’est toi qui m’as sauvée.
    « Elle ne se soucie pas de ces bonnes gens que nous aimons, pensa-t-il, étonné. Savoir par quel chemin ils vont à la débâcle ne lui importe pas. » Son œil se fit mauvais. Elle eut un élan bref. Elle lui dit en grande hâte :
    — Je pleurerai sur eux, Jourdain, mais fasse le ciel, s’il veut m’entendre, que je n’aie pas à pleurer sur nous.
    — Jeanne, j’ai des devoirs. Il faut que je les aide.
    Elle ravala un sanglot, répondit :
    — Mon homme, j’ai peur que tu ne veuilles te perdre avec eux.
    — J’ai des frères là-haut.
    — Ici est une femme, elle porte un enfant, dit-elle, batailleuse.
    Il la regarda. Il pensa : « Ainsi sont-elles toutes quand elles couvent. Assises sur les genoux de Dieu, indifférentes aux écroulements du monde pourvu que leur nid demeure préservé, et le cœur si ramassé sur ce qui pousse en elles que rien ne saurait les émouvoir. » Il en fut contrarié, mais ému plus encore. Il remua la tête. Il dit :
    — Tu n’auras pas à souffrir.
    — Souffrir ne m’effraie pas, dit-elle.
    Elle ajouta d’un trait :
    — Je ne crains rien de plus que d’être comme toi.
    Il fronça les sourcils.
    — Et comment suis-je donc ?
    — Pauvre homme, dit-elle, le regard autant sombre que moqueur, on te donnerait le ciel, plutôt que d’en jouir tu le prendrais sur ton dos, comme une charge de plus.
    Elle eut peur aussitôt de l’avoir offensé. Elle rougit, resta circonspecte, vit qu’un grand rire silencieux illuminait la face de son compagnon et secouait sa poitrine. Il lui ouvrit les bras. Alors riant aussi elle se laissa aller contre lui, et tandis qu’il l’étreignait elle lui dit encore à voix d’oiseau parmi les éclats étouffés :
    — La vie t’aime tant, Jourdain, elle t’aime tant ! Aime-la donc un peu !
     
    Ce soir-là, après qu’ils se furent rassasiés l’un de l’autre avec un emportement étrangement débridé, Jourdain tenant sur son épaule la tête échevelée de sa Jeanne endormie se reprit à penser à cette journée qu’il venait de vivre en compagnie de Jacques d’Alfaro. Il ne lui fallut que réfléchir à peine pour décider d’envoyer sans attendre un messager à Montségur, et aussitôt fouinant dans ses recoins d’esprit en quête d’un coureur de routes Peignon lui vint, à l’évidence. En vérité, sauf ce serviteur de son prudent cousin il ne connaissait personne à Toulouse à qui confier sans trop de risques la mission de prévenir Pierre de Mirepoix de ce qui se tramait contre lui et les siens. Encore devrait-il convaincre maître Sicard Lalleman de ne point interdire à son homme de tous les ménages ce compromettant voyage en terre hérétique. Tandis que Jeanne dans son sommeil s’acagnardait contre son flanc en geignant doucement, il chercha un moyen de forcer le vieux consul à cette bonne action. Il n’en trouva aucun. Il se vit alors infiniment démuni et se dit que décidément, s’il voulait sauver ceux qui pouvaient l’être parmi ses frères montagnards, il lui faudrait ces jours prochains suivre le conseil que lui avait donné son beau diable de guide aux pourpoints mirobolants : s’armer de ruse, s’introduire dans les

Weitere Kostenlose Bücher