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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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l’entraîna.
    — Messire du Villar voudrait vous rendre hommage, dit-il. Savez-vous que ce bel homme arrive tout droit de Montségur ?
    Jourdain ne pipa mot ni ne bougea d’un geste. Le comte de Toulouse s’arrêta devant lui, le toisa. Il n’était pas chétif mais de ferme maintien, pâle de teint mais point souffreteux, et son regard noir sous le front haut n’avait rien d’un fuyard. Il se tut lui aussi, examina son visiteur, puis le tenant froidement dans son œil :
    — A-t-on nourri mes chiens ? dit-il.
    D’Alfaro répondit, singeant l’humilité pateline des clercs :
    — Ils le seront bientôt. Mais bénissez d’abord ce guerrier des montagnes, monseigneur. Il a péché pour vous sans rechigner en aucune manière. Quoi ? N’est-il pas à votre goût ?
    Le comte brusquement poussa ce frère trop près de lui tenu et le poursuivit en le houspillant avec une rudesse tumultueuse. L’autre, titubant sous les poussées, se prit de gaieté si bruyante qu’il fit fuir alentour une nuée d’étourneaux. Ils s’en furent ainsi jusqu’aux sergents qui les voyant venir sortirent aussitôt de leurs conversations somnolentes et s’empressèrent autour de l’arbre où les chevaux broutaient, la bride sur le cou.
     
    Jourdain s’en alla seul par le petit cimetière peuplé d’abeilles et le long de la Garonne au hasard des cohues erra jusqu’aux moulins du Bazacle. Là il s’assit sur les cailloux au bord de l’eau, dans la rumeur du barrage et le grincement des grandes roues ruisselantes. Après longtemps d’accablement, l’esprit hors du jour dont il ne voyait que brume de lumière, il s’aperçut qu’une femme était assise à son côté. Il ne l’avait pas entendue venir. Elle était jeune, maigrichonne. Elle déjeunait de fruits et de pain. Il la regarda, étonné de la voir si simplement proche. Elle lui sourit, lui offrit une pomme. Ils mangèrent ensemble, sans parler. Puis il lui prit la main, la baisa et s’en retourna vers le Pont-Neuf où était son logis.
    Jeanne le rejoignit à l’heure du crépuscule. À peine la porte entrebâillée elle aperçut son grand corps debout contre l’angle de la lucarne, face au ciel traversé de feu pourpre. Il ne se retourna pas. Il n’avait pas allumé la chandelle sur la table. Elle hésita à le faire, s’approcha d’abord de lui dans la pénombre, l’enlaça, appuya contre son dos sa joue rosie par son impatience à courir à lui de la rue des Paradoux où elle travaillait. Il parut indifférent à sa présence. Alors elle le laissa et s’en fut aux boutiques du pont, d’où elle revint abondamment chargée de vin en cruche, de fromage et de viande salée. Elle le retrouva comme elle l’avait quitté. Elle s’inquiéta. « Peut-être, se dit-elle, ne veut-il plus de moi. » Elle en fut, tout à coup, lasse comme une vieille.
    — Jeanne, dit-il soudain, sans se détourner de sa contemplation, aimes-tu bien les gens de Montségur ?
    Ravivée, elle emplit un gobelet de bois, s’en alla le poser devant lui sur le rebord de la fenêtre.
    — Certes, répondit-elle. Ils sont notre famille.
    — Mersende et Béatrice, et Thomas l’Écuyer, Pierre de Mirepoix, Bernard Marti et tous ceux des cabanes, et Péreille, et ses filles, qu’espèrent-ils, dis-moi ?
    — La paix, assurément, des fêtes, des retours aux villages.
    Elle leva le front vers son visage, s’effraya, murmura :
    — Jourdain, que t’a-t-on fait ?
    Il la regarda, enfin. Ses yeux étaient d’une tristesse farouchement tenue en bride, mais elle le sentit prêt à gronder et à mordre, pour peu qu’on s’aventure à flairer de trop près la blessure dont il souffrait. Elle se tint sur ses gardes. Il était de ces loups qui lèchent seuls leurs plaies et quittent seuls le monde, ou seuls revivent, loin des regards et des pitiés. Elle savait cela.
    — Jeanne, ils vont tous mourir, dit-il d’un souffle sec.

9
    Elle alluma le feu, la bougie sur la table, trancha viande et fromage, partagea le pain et disposa deux écuelles face à face, sans questionner ni dire mot. Quand ce fut fait elle vint à Jourdain, le saisit par la manche, le mena jusqu’au banc. Ils mangèrent en silence. Puis elle enveloppa les reliefs du dîner dans une serviette blanche qu’elle noua aux quatre coins, prit le bougeoir, et comme une ânière tirant sa bête rétive elle entraîna son compagnon à l’étage où était leur grand lit de paille. Au chevet elle posa la

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