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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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qui cernait les jardins. Après quoi, sans autre mot il battit la croupe de sa bête et passa la porte du rempart.
     
    Dans la galerie qui menait du dehors aux gens des rues et chants d’enclumes l’assaillit le souvenir précis, vivace et foisonnant des rencontres fugitives, des bruits et des odeurs, des lucarnes fermées et des torches brandies qui avaient peuplé la nuit autour de sa monture tandis que frère Arnaud, ses moines et ses diacres enfoncés sous leur couette vivaient leur dernière heure en pensant à leur labeur du lendemain. Sur la place déserte au débouché du passage lui apparurent le puits dans le soleil oblique, les écuries ruinées, les débris de charrettes. Un âne s’abreuvait à l’eau croupie d’une auge, un chien indifférent près de lui sommeillait. Le soir des meurtres, il lui avait semblé percevoir mille présences à l’affût dans les obscurités traversées d’or lunaire. Une étoile en ce lieu avait troué son front. Il s’en souvint comme d’une rêverie puérile. Il parcourut fermement l’espace et s’engagea entre les pigeonniers souillés d’épaisses fientes dans la ruelle droite qui montait au château. Il ne rencontra le long des façades qu’affairements tranquilles parmi les ombres et les lumières du printemps finissant, femmes lentes encombrées de linges et de seaux d’eau, hommes posément occupés aux travaux des jours devant les portes ouvertes. Il entendit derrière lui des voix contentes saluer des compagnons parmi la troupe. Monseigneur Jacques venait souvent au village. Tout dans ce jour paisible était habituel. Le massacre des clercs, les brasiers de registres et le flot de joie débridée qui avait emporté ces êtres dans cette même rue jusqu’à l’extase brute semblaient n’avoir laissé ni trace ni souvenir. Jourdain en fut si stupéfait qu’il sentit peu à peu enfler dans sa poitrine un grand rire incrédule. « Quels fous nous avons été, pensa-t-il. Nous avons voulu délivrer ce peuple de ses effrois, le jeter sur des chemins nouveaux. Nous avons cru possible de le rendre semblable au vent qui chasse les nuées. En vérité, il est comme l’herbe de la route. Nous n’avons fait que l’ébouriffer. La tempête passée, le voilà revenu à la tranquille fragilité de sa nature. »
     
    À la croisée de la ruelle qui menait à l’église une chèvre broutait une brassée d’avoines et de coquelicots dans un panier posé sur le socle du Christ de vieille pierre à peine entrevu le soir du carnage. Au-delà de ce lieu le château apparut, imposant comme un mont. Il fut bientôt devant. Deux hommes arc-boutés ouvraient le grand portail. Il hésita à pousser son cheval entre les battants à demi béante, brusquement tourna bride et s’en fut le long de la muraille jusqu’à la poterne par où était entrée sa bande d’assassins. Là il mit pied à terre, abandonna sa bête et pénétra dans le verger ceint d’un chemin de ronde et de tourelles d’angles.
    Il y neigeait des fleurs. L’air y était si bleu, si doux, si parfumé, le soleil si joueur dans les ombres mouvantes, les pétales tombés si tendrement mêlés aux herbes neuves qu’à peine avancé sous les arbres il fit halte, regarda les oiseaux voleter dans les branches.
    — Voyez, mon bon ami, dit Jacques d’Alfaro approché dans son dos, c’est ici, point ailleurs, que la grâce de Dieu nous veut en paradis.
    Jourdain se retourna. Ils étaient tous deux seuls. Aucun bruit ne venait d’au-delà des murailles, aucun souffle de brise. Ils se turent, contemplant alentour mille beautés paisibles, puis Jacques dit encore :
    — Voyez ces étourneaux, comme ils se réjouissent. S’ils ont vu l’autre jour des cadavres jetés à l’ombre de ces arbres, ils ont sans doute fui en haut des murs jusqu’à ce que la paix les rassure à nouveau, puis ils sont revenus à leur festin de printemps, sans peur, sans souci, sans rancune. Nous, dans ce bonheur simple offert à toutes choses, nous pensons encore aux mauvaises gens que vos hommes ont si joliment massacrés. Prisonniers des absents, mon ami, ainsi sommes-nous. Le regret du passé, la peur de l’avenir nous égarent sans cesse. Nous cherchons obstinément des chemins dans ces inexistences. Et pendant ce temps-là la vie émerveille le monde et nous attend, infiniment patiente. Seigneur Dieu, c’est pourtant d’elle et d’elle seule que nous avons soif, n’est-ce pas ?
    Il prit son compagnon par le

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