Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
signant du gauche avant de le lancer, sans souci des piétinements des chevaux dans la lumière de la cour ni des énervements de son maître qui allait et venait parmi sa troupe d’obscurs coupe-jarrets mêlée de jeunes nobles en bottes immaculées et pourpoints de hautes teintes. Comme Jourdain mettait pied à terre, le pendard aux larges oreilles déploya tranquillement sa carcasse, le salua d’un rire de sotte connivence et lui dit qu’il l’attendait. Après quoi il lui prit la main et les entraîna tous deux parmi les sergents et les bêtes jusqu’au perron de la demeure où son monseigneur s’acharnait à torcher les cuirs luisants de sa monture, le gant enveloppé d’un devant de chemise qu’il venait d’arracher au torse d’un valet.
    — Vous voilà donc enfin, dit-il sans se distraire de son ouvrage.
    Il eut un bref regard à Jeanne à demi dissimulée par la carrure de son homme, grimaça.
    — Est-ce là votre écuyer ? dit-il.
    — Nous voyageons ensemble, lui répondit Jourdain.
    D’Alfaro se redressa, lança négligemment son chiffon au ciel bleu, et grimpant à cheval :
    — Marsile, fais seller une mule et trouve un gros habit de moine franciscain pour la servante de messire du Villar. Il m’indisposerait qu’elle reste visible.
    Hautain, mélancolique, il regarda Jourdain.
    — Venez donc, lui dit-il. N’ayez crainte, ils suivront.
    Et tout à coup tranchant au travers des bousculades ferraillantes qui encombraient la cour il poussa sa bête à l’encolure basse droit vers le grand soleil qui baignait le portail.
     
    Au-delà des places et des ruelles effrayées par le déferlement de la troupe, des aboiements des chiens harcelant la cavalcade, des chariots renversés, des portefaix renfoncés sous les porches et des cordées de linge emportées en bannières, les hauts murs tout à coup au bout d’une rue vide s’ouvrirent sur la terre et le jour délivrés. Franchie la porte de la ville, les êtres, les maisons, les lentes charretées s’éparpillèrent parmi les verdures poussiéreuses jusqu’à la campagne franche où bientôt ne furent plus que quelques masures familières des buissons, de longs vols d’oiseaux noirs, l’air fringant et le ciel plus vaste que les champs. Monseigneur d’Alfaro se prit alors à gronder contre ses gens qu’il estimait par trop traînards, puis haussant la voix autant qu’il put dans le tumulte de la chevauchée :
    — J’ai hâte de vous accueillir dans mon château d’Avignonet, messire du Villar. Ses vergers sont magnifiques en cette saison. On s’y croirait au paradis.
    Jourdain lui répondit qu’il n’avait nulle envie de revoir ce lieu où étaient les plus haïssables souvenirs de sa vie. L’autre, la figure haute dans le vent vif, partit d’un rire sec.
    — Vous y viendrez, dit-il.
    « Le voilà à nouveau excité par ses diables », pensa Jourdain, fort méfiant. Il gronda, furibond :
    — Que pourrais-je y faire, grand Dieu ! sauf prier et souffrir avec vous ?
    — Seigneur, prier ensemble, dit Jacques d’Alfaro tout à coup exalté, souffrir jusqu’à revoir le jour par la fenêtre, oh ! le bel exorcisme pour ma maison salie ! Me tiendrez-vous la main ?
    Il se reprit à rire, s’en alla seul devant à grands coups d’éperons et cris d’écervelé, s’amenuisa au loin, franchit l’horizon bas sous un arbre solitaire entre le bleu du ciel et les blés de la plaine, et disparut au fond du jour dans un creux de vallon.
    Nul ne le revit plus jusqu’à l’entrée du village. Immobile sur son cheval luisant il paraissait attendre un cortège de songes entre les tours trapues où s’engouffrait l’allée qui menait aux maisons. Dès qu’il vit son compagnon sur le chemin pavé il vint à sa rencontre et lui dit, l’air amusé, qu’il était son prisonnier, mais que la femme pouvait s’en aller si elle voulait. Son œil narquois agaça fort Jourdain. D’insolentes protestations lui montèrent en bouche. Il les retint, occupé soudain par l’étrange pensée que l’invitation de cet homme à séjourner dans sa maudite demeure ne venait pas de lui en vérité, mais bien des spectres qui hantaient sa mémoire, insistants et muets au tréfonds de son regard. Il se retourna brusquement, chercha Jeanne parmi la troupe, aperçut son habit de moine près de Marsile. Il lui cria d’aller l’attendre au premier hameau qu’elle rencontrerait au bout d’un sentier qu’il lui désigna sur la friche

Weitere Kostenlose Bücher