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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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indistinctes. Il ne vit rien d’autre dans cette entrée sévère qu’une cruche verte sur le sol de terre battue et des hardes fantomatiques accrochées aux parois.
     
    Il franchit le cercle de lumière, écarta le rideau à hauteur de sa tête. La puante chaleur soudain s’exacerba. Dans la brume crépusculaire d’une vaste salle aux tréfonds indiscernables cheminaient çà et là des flammes de bougies. Une table étroite occupait tout du long cet antre silencieux. Elle était encombrée de bassines, de linges entassés qui pendaient sur des bancs, de parchemins aussi, de livres, de boîtes renversées. Autour d’elle étaient couchées de misérables formes humaines sur des brassées de paille. Parmi ces corps gisants s’affairaient lentement des spectres sans paroles. Ils étaient tous capuchonnés de noir et semblaient éreintés, comme perclus de maux plus vieux que leur vie même. Ils ne quittaient guère la pénombre entre les litières, là posaient un genou, là levaient la chandelle en se courbant à peine. D’autres, une béquille enfoncée sous l’aisselle, dans un angle où brûlait un feu clair s’occupaient à d’obscures cuisines.
    Jourdain chercha d’Alfaro parmi ces êtres, ne le vit pas. Il franchit la tenture entrebâillée, s’avança dans la salle.
    Alors le long du mur il vit venir à lui une vieille créature à la tête coiffée jusqu’aux orbites d’un grand torchon mouillé. L’homme était tant exténué qu’il lui fallait aider son pas à brusques poussées d’épaule contre le crépi terreux. Quand il fut assez approché il appuya son dos sous un haut volet de lucarne, essuya sa figure d’une manche sans main, contempla d’un œil cet apparent voyageur qui grimaçait du nez, tout roidi à distance, lui fit un sourire édenté, et la voix grinçant comme une méchante porte il lui demanda s’il était perdu.
    — Peut-être, dit Jourdain, respirant à grand-peine. L’autre lui répondit :
    — Si vous ne l’êtes pas, allez-vous-en d’ici. Si vous l’êtes, vous voilà désormais au bout de votre route. Soyez le bienvenu chez vos frères lépreux.
    Il lui tendit le bras.
    — Je me suis égaré, dit Jourdain, reculant. Pardonnez-moi, vieil homme.
    Comme il se détournait, une ombre au loin bougea. Une lueur passante illumina un pan de manteau rouge semblable à une plaie mouvante dans la brume du fond. Un soudain trait de glace lui traversa le cœur. Il s’avança lentement jusqu’au bord de la table, vit Jacques d’Alfaro s’agenouiller au bord d’un gisant presque nu, ramener tendrement la paille sur son corps et caresser son front, et lui parler tout doux.
    — Notre saint bienfaiteur est-il de vos amis ? demanda dans son dos le bancal.
    Jourdain, pétrifié, murmura pour lui seul :
    — Seigneur, comment savoir ?
    D’Alfaro se dressa parmi des formes vagues, s’en vint au bout du banc, lava ses mains dans un creux de bassine. Tandis qu’il s’essuyait, un homme en robe noire inclina près de lui son large capuchon, parla à voix basse contre sa joue. Monseigneur Jacques ouvrit prestement son manteau, lui remit une bourse et l’étreignit longtemps. Après quoi il se tourna vers d’autres gens qui s’étaient approchés d’eux avec leurs chandelles. Il les embrassa pareillement. Quand ce fut fait il revint aux paillasses pour dire encore quelques mots aux corps immobiles, comme si là étaient de vieux parents inquiets de voir partir leur fils en long voyage.
    À l’instant où il quittait le dernier moribond il aperçut Jourdain qui, le pas indécis, venait à sa rencontre. Il lui fit un signe d’amitié, prit sa main au passage et sans autre manière il l’entraîna dehors. Dès la porte franchie, dans le vent délicieux parfumé d’herbe humide :
    — Marsile vous a donc trouvé, dit-il. Vous m’en voyez content. Dès demain vers midi nous partirons ensemble. Vous quitterez Toulouse avec moi, en plein jour. Ainsi, mon bon ami, nul n’osera nous suivre. Êtes-vous satisfait ?
    Jourdain l’examina dans la lueur des torches. Il voulut lui parler. À peine il murmura :
    — Jacques, que Dieu vous garde !
    D’Alfaro lui sourit, répondit :
    — Il me garde.
    Son regard était simple comme la brise de la nuit. Marsile, à côté d’eux, riait béatement.

11
    Le lendemain matin, comme Jeanne se levait sans bruit dans la pénombre de la chambre, Jourdain, ensommeillé, étira ses membres sous la couverture et lui dit

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