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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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passés et les vieux espoirs que chérissaient encore les gens de Montségur dans leur enclos de pierre où il serait bientôt avec eux enfermé. Il entendit son nom crié dans le ciel, aperçut Jeanne au bord de la cime, perchée sur un rocher. Elle agita comme une bannière son froc de moine au bout d’un bâton, puis bondit parmi les buissons, disparut dans des remuements de feuillages, déboucha au détour du sentier, courut à son homme. Il fit à peine halte. Il lui tendit la main. Elle la saisit éperdument, monta derrière lui en selle, l’étreignit, haletante, et se tint ainsi à reprendre haleine, accolée à son dos, jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus à la place du hameau cernée de maisons envahies d’herbes et de ronces.
    Comme ils s’engageaient, au fond de l’aire de terre battue, sur le sentier de la forêt, Jourdain vit à l’ombre d’un grand chêne une fosse fraîchement recouverte, ornée d’une croix de cailloux et de fleurs soigneusement alignés. Il arrêta devant elle son cheval, regarda les feuillages et les buissons alentour, aussi la grange aux battants grands ouverts. Sous ce même arbre il s’était rudement enragé contre Pierre, le soir où il avait appris pour quelle sorte d’œuvre ils avaient quitté leur montagne. À Jeanne il désigna la tombe. Elle répondit à sa question muette qu’au bord du chemin qui descendait à la plaine elle avait découvert à son arrivée le cadavre d’une vieille femme à demi dévorée par les rats et les fouines et qu’elle l’avait enterrée là.
    — Elle était assise contre un rocher, dit-elle. Elle avait ses deux poings enfouis dans son tablier, entre ses cuisses, et si durement fermés que je n’ai pu les ouvrir. J’ai vu des grains de blé entre ses ongles. Ils germeront peut-être au travers de sa peau.
    Il resta longtemps sous les branches mouvantes à contempler dans son esprit cette nuit étoilée où il avait vu la pauvre folle courir à sa troupe qui s’ébranlait. Il revit sa face échevelée, ses yeux extasiés, sa bouche ouverte sur des cris enfantins, ses gestes saccadés de semeuse, tandis qu’elle lançait aux cavaliers passants ses grains de bonne chance. Il pensa qu’elle avait trépassé peu de temps après leur départ et qu’elle avait sans doute franchi le seuil de l’au-delà en compagnie des massacrés d’Avignonet.
    — Allons-nous-en, dit Jeanne. Il n’y a plus rien ici.
    Le cheval s’en fut seul, portant ses voyageurs, sans qu’ils aient fait le moindre geste pour le mettre en chemin.
    Ils ne rencontrèrent personne dans l’heureuse sauvagerie de la forêt. Après deux jours de route silencieuse Montségur leur apparut sur la cime de la plus belle montagne d’Ariège. Alors leurs regards s’éveillèrent, ils parlèrent de ces êtres aimés qui ne les attendaient pas, Béatrice et Mersende et Thomas l’Écuyer, Pierre et Bernard Marti et tous ceux des cabanes, et dans la joie inquiète des retrouvailles ils gravirent le sentier de ce faubourg du ciel que menaçait le monde.

12
    — Passez, passez, mauvaises gens, moi, misère ! j’ai tout mon temps, personne au monde ne m’attend, ni le mari ni les enfants, glapit Mersende en comptine criarde, un poing dans le fagot arrimé sur sa nuque et l’autre brandissant une canne noueuse au-dessus du chemin montant.
    Elle s’enfonça entre deux buissons au bord du sentier, déposa d’un coup d’épaule son fardeau sur la crête d’un roc, se retourna vers le cheval qui battait du sabot derrière elle. Jeanne à trois pas mit pied à terre et lui ouvrit les bras en chantonnant son nom à petits cris joyeux. L’autre fronça le nez, une main en auvent sur son front, hésita, s’exclama, nasillarde :
    — Voyez l’oiselle qui s’en revient au nid !
    Et comme la jeune femme la prenait dans ses bras et dérangeait sa coiffe à baiser ses joues sèches :
    — Là, là, ma folle, cesse de manger ma figure. Garde donc ton bec pour ton homme. Hé ! tes bons soins ne l’ont guère adouci, à ce qu’il semble ! Il ne sait toujours pas saluer le beau monde. Ou peut-être a-t-il perdu la voix, comme il arrive aux fous amoureux ?
    — La paix sur toi, bonne mère ! cria Jourdain, s’éloignant seul sur la montée.
    — Trotte, trotte, bonhomme, lui répondit Mersende. Les pendards qui s’en vont sont toujours les plus beaux. Vois, ma fille, comme ses épaules effacent les murailles !
    Il sourit, tandis que sonnait dans l’air

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