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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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du feu ronflant, aux craquements des bûches.
    — Vous appelez la mort, avouez-le crûment, dit-il. Etcertes elle viendra comme une bonne chienne si vous ne fuyez pas, mais point par la volonté de Dieu. Par la vôtre, Bernard, la vôtre seule.
    — Goûte ce vin, mon bon, dit Pierre en s’efforçant à la jovialité.
    Il lui tendit à boire. Jourdain ne voulut point le voir.
    Son regard dévorant resta tout au vieillard.
    — Vivez, Bernard, dit-il. Vous devez porter votre savoir aussi loin que possible parmi les hommes.
    — Je l’ai fait, dit Marti.
    — Vous le ferez encore.
    L’autre sourit, placide, il haussa les épaules. Il répondit :
    — Comment savoir ?
    — Que désirez-vous donc ? La gloire des martyrs. L’évêque se sert d’elle. Des clercs inquisiteurs que nous avons tués, de ces bourreaux, Bernard, savez-vous ce qu’il fait ? Des saints, des maîtres purs, des innocents meurtris. Autour d’eux il rassemble ces gens qui bientôt nous assiégeront. Dieu est-il dans cette œuvre, dites-moi ?
    Un éclat neuf brilla dans l’œil du vieux parfait. Il se mit à chercher, au-delà de la lueur du feu et des chandelles, des mots pareils à des parfums fuyants. Péreille auprès de lui se fit aussi pensif. Un moment ils parurent tous deux, au regard de Jourdain, semblables à d’enfantins rêveurs de merveilles. Bernard dit enfin :
    — Pense aux martyrisés, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, aux mendiants, aux nouveau-nés aussi. Comprends et souviens-toi. Même si de ta vie tu n’as vécu cela, tu sais que dans les démunis est un aimant puissant qui te force à ouvrir les bras, à te pencher sur eux, à te livrer à cette force mystérieuse qui les habite, sans qu’ils le sachent. Jourdain, je crois que les vrais outils de Dieu sont les plus faibles des êtres parce qu’eux seuls savent faire germer l’amour sans méfiance dans l’âme de ceux qui les contemplent. Je ne suis pas meilleur que l’évêque de Toulouse, sache-le. Si j’avais son pouvoir, je me rendrais sans doute aussi odieux qu’il l’est. Mais par grâce je suis pauvre et proscrit. Et si le Père Saint qui m’a donné la vie me veut enfin vaincu pour éveiller au cœur de quelques hommes cette lumière simple où Lui se tient sans cesse, je mourrai bien content.
    Pierre, fort satisfait, cogna du poing sur son genou, et prenant son frère d’armes par l’épaule :
    — As-tu jamais entendu un clerc catholique dire d’aussi belles paroles ? C’est une grande chance d’avoir Bernard auprès de nous. Ne crains pas, nous ne le laisserons pas brûler. Nous survivrons. Sais-tu pourquoi ? Parce que nous sommes de bonnes gens. Péreille, a-t-on mis à rôtir un bon repas de viandes ? J’ai une faim de loup. Cesse de grimacer comme un moine offusqué, Jourdain, mon beau ! Au diable les grands nobles avec leurs manigances ! Ont-ils jamais joui de la vie comme nous ?
    — Nous avons fait grand mal, lui répondit Jourdain. Pierre, c’en est assez. Nous avons massacré deux clercs inquisiteurs et huit moines et diacres pour que le pays vive, pour qu’il respire enfin. Vit-il ? Respire-t-il ? Pas mieux qu’avant les meurtres. Nous avons espéré que Bernard et ses frères pourraient enfin parler tranquilles sur les places des villages. Et qu’en est-il ? Nous les avons amenés à leur perte. Ce que nos ennemis n’avaient pu faire, en vérité nous l’avons fait pour eux.
    — Ne t’en inquiète pas, dit Marti. Ce que tu n’as pu faire, nos ennemis le feront. Ils nous donneront longue vie.
    — Bernard, Bernard, qu’en savez-vous ?
    — Jourdain, mon fils, je connais les ruses de Dieu.
    — Péreille, il nous faudra renforcer les défenses, dit Pierre. Dès les moissons rentrées nous planterons des palissades neuves par le travers du mont, puis nous dégagerons des galeries de grottes et nous ferons tailler quelques charretées de boulets. Nous aurons grand besoin de machines de guerre. Je connais un architecte qui saura les construire. Pardonnez-moi, Bernard, je ne suis peut-être qu’un lourdaud mais je vous veux le bien le plus ordinaire qui soit. Vous voir bon pied bon œil jusqu’à cent ans sonnés suffira amplement à ma satisfaction. Je ne saurais donc vous offrir cette postérité de bienheureux martyr que vous semblez espérer de monseigneur l’évêque de Toulouse et de sa bande de Français. Résignez-vous. De force ou de bon gré je vous garderai dans ces murs

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