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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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bleu le rire de Jeanne mêlé aux moqueries de l’aïeule, et son cœur s’emplit d’heureuse amitié pour le mont retrouvé. Il lui sembla qu’il n’avait guère quitté ces rochers familiers à l’ombre des grands arbres, ni ces murets pentus qui longeaient les champs maigres, ni ces hommes courbés sur les avoines grises qui se dressaient et s’accoudaient aux pioches et se disaient entre eux que c’était là Jourdain, et s’en venaient à lui, le soleil bas dans l’œil. Il vit Thomas l’Écuyer dévaler soudain en course tant effrénée qu’il faillit embrasser le mufle de sa bête. À quelques pas devant l’emporté battit l’air, empoigna une branche, s’y pendit d’une main et chercha Dieu de l’autre, tandis que ses talons creusaient terre et cailloux, puis se laissa tomber de cul dans la poussière, fut aussitôt debout, prit la sangle au museau du cheval et le tirant à toute force sur le sentier abrupt, haletant, trébuchant et se tournant sans cesse :
    — Je vous ai vu venir de sur la tour de veille. Est-il vrai que l’on fait la guerre en Lauragais ? Je suis prêt à partir sur l’heure, mon maître, et beaucoup d’autres avec moi. Dites, avez-vous parlé au comte de Toulouse ? Que pense-t-il de nous ? N’est-ce pas qu’il nous aime ? Avez-vous quelquefois dîné dans son château ? Quelle honte si nous le laissions seul chasser les Français du pays ! Nous rejoindrons bientôt son armée, n’est-ce pas ?
    Il tendit au ciel le poing et dit encore, extasié :
    — Une heure avant la nuit sur le chemin de ronde tous les soirs je vous ai attendu. Certes, j’avais confiance. Monseigneur Pierre aussi, mais il grondait souvent. Je crois qu’il s’est fait un sang d’encre.
    Au-dessus d’un bref chaos de buissons, d’éboulis et de cabanes aux fumées errantes le rempart tout à coup sur le roc de la cime envahit le plein ciel. Ils franchirent la dernière courbe du chemin. Alors leur apparut au centre du long mur, sous l’arceau du portail que baignaient les lueurs dorées du crépuscule, Pierre de Mirepoix, les deux poings sur les hanches et les jambes ouvertes, immobile et massif comme un veilleur au seuil du pays des oiseaux. Thomas le désigna et lui fit un grand signe, mais il ne remua d’un geste ni d’un pas jusqu’à ce que le cavalier et son guide parviennent au bas de l’escalier de rondins qui grimpait à la porte. Quand ils y furent il descendit pesamment, attendit que Jourdain ait quitté sa monture, se planta devant lui, contempla sa face avec une affection si jubilante et carnassière que dans ses yeux brilla une flambée de larmes, puis soudain il empoigna sa tête et l’étreignit enfin en grognant comme un ours.
     
    Ils gravirent les marches sans dire mot, se tenant l’un l’autre aux épaules. À peine dans la cour ils virent accourir des écuries, des granges et des ateliers d’armes, et du toit des auvents, et du chemin de ronde où séchaient des lessives, des hommes et des femmes avides de nouvelles. Jourdain ne répondit à leurs salutations et à leurs questions joyeuses que de bonnes paroles de voyageur. Thomas, monté d’un bond sur l’enclume de la forge, se mit à brailler avec une faconde de batteur d’estrade qu’il avait toutes les réponses désirables aux soucis qui occupaient le monde. Aux gens aussitôt venus à lui comme nuée de mouches au pot de miel il affirma hautement que le comte Raymond avait reçu son maître à sa table et lui avait confié, après bien boire et bien manger, que ceux de Montségur étaient ses fils aimés et qu’il les voulait à ses côtés pour chasser du pays les Français et les clercs qui déjà s’enfuyaient en bandes dépouillées sur les chemins du Nord.
    Pierre l’écouta de loin jusqu’à ce que sa voix se trouve submergée de vivats et de rires, puis il courba sa haute taille sous la porte du donjon, rejoignit à la hâte son compagnon qui gravissait devant lui l’escalier, demanda si l’enfant disait vrai. Jourdain lui répondit que non et retint sa langue le temps de franchir l’étage où vivaient l’épouse et les filles du seigneur de Péreille avec leurs servantes. Il les entendit pépier à voix basse derrière la tenture qui fermait le palier. Toutes se tenaient là, furtivement visibles dans des lueurs de chandelles, l’œil aiguisé et l’oreille à l’affût du moindre mot perdu dont elles pourraient se saisir et se nourrir le soir durant en longue veille

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