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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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Montségur devraient se disperser au plus vite s’ils voulaient échapper à l’armée du sénéchal de Carcassonne qui viendrait bientôt assaillir ce repaire où vivaient, à ce qu’on lui avait affirmé (mais il ne s’en souciait guère), les plus effrayants hérétiques du monde. Ce conseil méchamment donné fit tant enrager Pierre qu’il empoigna derechef le bonhomme, leva sur sa tête son poing armé d’une cuisse de poularde, hésita à l’abattre, enfonça l’os à demi rongé dans la bouche haletante et s’en fut ruminer sa colère dehors. Le messager partit dès l’aube du lendemain, sous un ciel incertain.
     
    Des nuages semblables embrumaient les remparts le jour d’octobre où apparurent sur le chemin de la vallée tant de chariots, d’étendards, de cavaliers et de fantassins que l’on put croire venue une pleine ville de gens dans ces lieux où n’avaient jamais régné que de furtives bêtes de montagne. Tous dans le château fermé restèrent une pleine matinée sur le chemin de ronde à contempler ce déploiement. Thomas l’Écuyer ne quitta pas Jourdain. Il demeura immobile près de lui dans le vent froid, tenant sa main et murmurant sans cesse :
    — Seigneur Dieu, regardez, mon maître, regardez !
    Quand enfin ils se décidèrent à redescendre dans la cour, Jourdain pensa qu’il aurait peut-être grand mal à convaincre ce jeune écervelé d’amener Jeanne au loin, une prochaine nuit, avec l’enfant qui renflait maintenant son ventre et semblait déjà poser sur le monde, par les yeux de sa mère, un regard étrangement indifférent aux remuements des armes et aux effrois des gens.

13
    Quatre journées durant au fond de la vallée furent dressés d’innombrables hameaux de toile aux toits pointus hérissés de bannières. Autour des feux tant éparpillés que des plus éloignés on ne voyait que des fumées à peine distinctes des brumes, les campements envahirent bientôt les rebonds des prés au bord du sentier qui montait aux murailles, les bosquets au feuillage éclairci et la pente de l’autre versant peuplée de bergeries éparses, jusqu’à la courbe lointaine où se joignaient les montagnes dans les rousseurs et les grisailles indécises de l’automne. Le cinquième jour, les landes du flanc de l’ouest furent défrichées par un fourmillement d’hommes infatigables parmi des chariots plats attelés à des bœufs, tandis que de nouvelles troupes affluaient encore de l’horizon étroit en files argentées qu’éblouissaient fugacement des bouffées de soleil aussitôt emportées par l’ombre des nuages. Vers le soir apparurent des écuries de branches et de bâches au bord du torrent dépouillé de ses fourrés comme une bête de son pelage. Le sixième jour une ligne de pieux se mit en chemin lent au travers de la pente, conduite pas à pas par des foules de gens armés de longues cordes et mêlés de chevaux qui traînaient des troncs d’arbres. Une averse subite à l’heure de midi les fit fuir en désordre vers des tentes sommaires. La pluie persista jusqu’à la nuit, et le chantier demeura désert. Au matin du septième jour dans le beau temps revenu on vit du haut du mont quelques groupes de soldats se risquer sur le chemin du château. Ils furent dispersés par une cascade de quartiers de rocs qui s’en vint à grand bruit rebondir contre la palissade inachevée.
     
    Alors Pierre et Jourdain, qui depuis l’arrivée des premiers contingents n’avaient pas quitté le haut des tours, décidèrent en quelques mots tranquilles qu’il était temps d’aller épier de plus près cette multitude déployée en longue écharpe sinueuse. En vérité, à contempler les agitations foisonnantes et minuscules de ces gens au pied du mont, jamais la cime venteuse où ils se tenaient ne leur était apparue aussi sûre. Aucune machine de guerre ne pouvait d’aussi loin menacer leurs remparts. Et vouloir les atteindre à la force du mollet par ces pentes abruptes et ces falaises raides paraissait à l’évidence aussi déraisonnable qu’espérer saisir un oiseau en plein ciel. Décidément, cette longue armée n’avait plus, maintenant qu’elle était à portée de regard, l’invincible puissance des ruées d’ombres qui avaient peuplé les esprits avant qu’elle n’arrive. Pierre estima, l’œil jovial, qu’à la première neige ceux qui la gouvernaient lèveraient le camp et s’en retourneraient en grande hâte au chaud de leurs châteaux des

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