L'expédition
mains sur son ouvrage, fut aussitôt envahie par une bondissante prière de délivrance, se retint de courir à sa rencontre et se remit à sa tâche avec un entrain redoublé, soucieuse d’apparaître comme une compagne point excessive, sûre de la venue de son homme, telle sans doute qu’il désirait la voir. Tout au long de leur voyage de retour, tandis qu’ils chevauchaient en silence, elle avait eu grand-peur qu’il s’enferme à nouveau dans sa cabane accolée au donjon et ne veuille plus vivre avec elle comme il l’avait fait à Toulouse. Elle n’avait pas osé poser les questions qui l’occupaient, craignant qu’il ne la rabroue et ne disperse ses rêves. Elle avait vu ouvert son volet tout à l’heure. Elle s’en était tourmentée, puis le revoyant clos elle s’était interdit de se morfondre encore, sans pour autant cesser de débrider son sang au moindre bruit de pas. Il fit halte devant elle, la trouva radieuse et droite avec son tabouret renversé derrière elle, serrant dans son tablier ses pelures de raves. Il lui tendit son gibier. Elle dit :
— J’en ferai des pâtés. Il nous faut des réserves.
Il répondit :
— Nous avons tout le temps, l’été sera tranquille.
— Oui certes, il sera beau, dit-elle.
Il parlait de la guerre, elle de ses amours. Ils se regardèrent d’un air de défi tendre, puis il s’en fut déposer son bagage au bord de la litière et revint sur le seuil humer la brise douce où chantaient des grillons, tandis qu’elle s’affairait dedans à la marmite.
Dès les premiers jours de juillet Pierre de Mirepoix mit ses gens aux ouvrages de défense. Un mois durant, tous, hommes au torse nu, femmes aux manches troussées, s’échinèrent de l’aube au crépuscule aux remblais de pierrailles, au travail des madriers, au transport des cailloux sur des brancards de branches et des couffins de terre haut tenus sur les têtes. Ils chantèrent parfois de ces chants bruts qui délivrent les cœurs et affûtent les rages, mais plus souvent se turent, aveuglés de sueur sous leurs fardeaux. Ils dressèrent ainsi aux abords du château des murets troués de meurtrières et des palissades de rondins effilés à la hache. L’été, cette année-là, se fit sans eux, bourdonnant d’abeilles sur les ronciers feuillus, foisonnant de perdrix et de poules faisanes dans la forêt proche, riche de fruits dans les figuiers et les pêchers sauvages alentour des cabanes où nul n’entrait que pour dormir, courbatu, éraflé, la porte grande ouverte sur la fraîcheur du soir et l’insouciance des rossignols.
Le premier jour de pluie depuis le retour de Jeanne et de Jourdain fut la Sainte-Marie d’août. Dans le brouillard épais levé l’après-midi vint un cavalier ruisselant qui dès son entrée dans la cour affirma hargneusement à qui voulut l’entendre que de sa vie on ne le reprendrait à risquer sa carcasse dans un pays aussi sauvage. Après quoi il s’emporta contre les gens qui s’empressaient à son aide comme s’ils avaient eux-mêmes déchaîné l’averse sur son dos, raviné les sentiers et parsemé le mont de traîtrises indécelables, puis il s’ébroua sous l’auvent de la forge, reprit souffle et informa enfin les hommes accourus autour de lui qu’il arrivait de Toulouse avec des nouvelles dont il n’avait que faire, mais qu’il ne donnerait à personne avant qu’il ne soit sec et qu’il n’ait bu un bol de soupe. Jourdain le mena dans la salle basse. Là l’irascible soudard grognant encore d’inaudibles malédictions, les mains tendues au feu, se prit à considérer ceux qui l’entouraient d’un œil si noir et rancunier que Pierre, à bout de patience, l’empoigna au collet, le souleva à hauteur de son regard terrible et le menaça de l’asseoir sur les braises s’il ne se décidait pas à parler.
L’homme, la mine mal radoucie, dit alors qu’un sergent nommé Marsile l’avait payé une misère pour porter le salut de monseigneur d’Alfaro à Jourdain du Villar et le prévenir que ni le comte Raymond ni l’évêque n’étaient parvenus à leurs fins, car les Français occupaient à nouveau tous les châteaux du pays, à l’exception de celui-ci, où il ne désirait certes pas s’attarder, et que le pape avait par lettre expresse ordonné à monseigneur du Falgar de remettre aux dominicains de Toulouse les nouveaux registres inquisitoriaux dont il s’était indûment chargé. Il dit aussi que les habitants de
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