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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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armés qu’ils s’étaient laissé pousser aux chariots sans oser renâcler.
    Comme les bougres se plaignaient piteusement de ne savoir combien de temps cette guerre montagnarde les tiendrait éloignés de leurs familles, Jourdain leur demanda si les gens du pays étaient en grand nombre parmi les assaillants du château. Les autres lui dirent que les clercs et les barons du Nord avaient partout recruté des milices dans les villes fidèles au comte de Toulouse, que l’évêque Durand de Beaucaire était venu d’Albi avec quatre centaines de volontaires et que sur les terres mêmes de Mirepoix d’anciens sergents de monseigneur Pierre avaient été enrôlés de force, selon ce qu’ils avaient prétendu. Un silence tant rogneux accueillit ces paroles que les deux captifs, la bouche tremblante, hésitèrent à poursuivre. Le cercle des veilleurs autour d’eux se rétrécit. Sur les dos arrondis leur ombre se fit lourde.
    — Les gens d’Église et les croisés français sont nos seuls ennemis, dit Jourdain. Ils sont aussi les vôtres. Comprenez-vous cela ?
    Les pendards l’approuvèrent en chœur balbutiant. Jourdain les vit tant avides de lui plaire qu’il les prit en pitié et se sentit tomber en impuissance amère. En vérité, ces hommes n’avaient d’autre souci que d’éviter la mort qu’ils guettaient au-dessus d’eux par coups d’œil apeurés. Il soupira, voulut savoir qui commandait l’armée.
    — Monseigneur Pierre Amiel, l’évêque de Narbonne, dit l’un. Le conseil des barons se tient devant sa tente.
    Et l’autre, en même temps :
    — Monseigneur Hugues des Arcis. Il est le sénéchal, je crois, de Carcassonne. Peut-être le connaissez-vous. Sa face est balafrée de l’oreille à la lèvre.
    Le premier ajouta, tout à coup empressé :
    — Mais nous n’obéissons qu’aux seigneurs de chez nous.
    Sans qu’ils fussent demandés les noms de ces nobles du Lauragais et des Corbières ralliés à l’armée furent dits avec une fierté timide, en chapelet rebondissant. Parmi eux étaient Arnaud d’Olonzac et Raymond d’Alban, que Jourdain avait connus en Terre sainte. Il se souvint qu’au temps de Raymond le sixième ces bons compagnons avaient plusieurs fois accueilli Bernard Marti et d’autres parfaits à leur table. « Seigneur Dieu, se dit-il, dans quels égarements faut-il qu’ils soient tombés pour s’armer comme ils font contre leurs propres pères ?  » Il fit un geste vague et dit :
    — Allez-vous-en.
    Les deux hommes éberlués se dressèrent en désordre et se tinrent craintivement accolés, tandis que les veilleurs autour d’eux se pressaient et brandissaient les poings et grondaient qu’il fallait les tuer. Jourdain, les repoussant de droite et de gauche, ouvrit une brèche dans leur houle malveillante par où les captifs se risquèrent, les coudes levés sur leur tête basse. À peine l’espace ouvert devant eux ils s’en allèrent en course dératée le long du muret, cherchant par où sortir. Ils se perdirent parmi les fourrés et les pierrailles, montèrent, faute de pouvoir descendre, vers des escarpements infranchissables, puis ils reparurent sur le sentier, dévalèrent enfin sur le dos et le flanc autant que sur leurs pieds et disparurent bientôt derrière les rochers en battant l’air des bras comme des pitres funambules.
     
    Le soir venu, sur le chemin de ronde battu par un vent noir qui claquait aux oreilles et emportait les capes Jourdain fit à Bernard Marti et Pierre de Mirepoix le récit de ce que lui avaient appris ses prisonniers éphémères. Après qu’il eut parlé Pierre s’accouda au mur bas entre deux créneaux et se mit à marmonner pour lui seul d’inaudibles malédictions, tandis que Bernard, les yeux à demi clos et les mains croisées dans son dos, semblait humer le ciel sans apparent souci. Ainsi restèrent-ils un moment, puis Jourdain dit encore, contemplant la vallée obscure :
    — Voyez ces milliers d’hommes autour des feux, en bas. Ils sont tranquilles, ils bougent, ils boivent, ils vont dormir. Le lendemain du meurtre des clercs inquisiteurs ces mêmes gens carillonnaient et brandissaient des piques en chantant des alléluias sur les places des villages. À la fin du printemps ils allumaient partout des émeutes et chassaient les moines hors de leurs abbayes comme des lièvres des terriers. Aujourd’hui les voilà serviteurs de ceux qu’ils haïssaient. Pourquoi, grand Dieu, pourquoi ?
    — Si

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