L'hérétique
de la nuit suivante, ils
s’évanouirent totalement pour ne plus laisser qu’un ciel immaculé dans les
premières lueurs de l’aube. Un vent du sud se leva, qui réchauffa l’atmosphère.
Thomas et Geneviève demeurèrent deux jours dans la chaumière
en ruine. Ils prirent le temps de parfaitement sécher leurs vêtements et de
laisser leurs chevaux brouter tranquillement les dernières herbes de l’année.
Ils se reposèrent, surtout. Dans la mesure où il ne s’attendait pas à trouver
quoi que ce soit à Astarac, il ne voyait aucun motif de gagner rapidement le
village de ses ancêtres. Geneviève ne partageait pas tout à fait son point de
vue, car elle était certaine que les habitants d’Astarac et des alentours
auraient des histoires instructives à raconter et qu’ils pourraient au moins
les écouter. Mais pour l’instant, sans vraiment oublier tout le reste, il suffisait
à Thomas d’être seul avec la jeune femme pour la première fois. Il ne l’avait
jamais vraiment été, pas même dans le château, car quand il se faufilait
derrière la tapisserie il était toujours conscient de la présence de ceux qui
dormaient dans la salle, juste de l’autre côté de la tenture. Thomas ne
comprenait que maintenant à quel point il avait été écrasé par toutes les
décisions à prendre : qui envoyer en raid, qui laisser derrière à
Castillon, qui surveiller, à qui se fier, qui écarter de certains partages,
quel loyal compagnon récompenser de quelques pièces… Une crainte ne le quittait
jamais, alors : la peur d’avoir oublié quelque chose, la peur que ses
ennemis soient en train de planifier un piège imprévu. Ses ennemis ! Il
n’avait pas vu à l’époque que son véritable ennemi était tout proche, beaucoup
plus proche qu’il ne l’avait imaginé : Robbie, son ami Robbie, bouillant
d’une indignation vertueuse et torturé par le désir.
Maintenant, perdu au milieu de la forêt, Thomas pouvait se
détendre, prendre son temps et tout oublier. Mais jamais longtemps, car les
nuits étaient froides et l’hiver arrivait à grands pas.
Le second jour de leur halte, ils repérèrent des cavaliers
sur une crête au sud. Il y en avait une demi-douzaine, des hommes à l’allure
loqueteuse pour autant qu’on en pouvait juger. Deux portaient des arbalètes
accrochées à leurs épaules. Heureusement, ils ne tournèrent pas leurs regards
vers la vallée où Thomas et Geneviève s’étaient réfugiés. Mais le couple savait
que quelqu’un finirait par venir. C’était le moment de l’année où les loups et
les coredors descendaient des hauteurs pour chercher des proies plus
faciles dans les basses collines. Il était plus que temps de partir.
Geneviève avait questionné son compagnon à propos du Graal.
Il lui avait raconté que son père, ce prêtre d’un grand savoir mais à demi fou,
l’aurait volé – s’il existait vraiment – à son propre père, qui
n’était autre que le comte d’Astarac exilé. Thomas avait précisé que le père
Ralph n’avait jamais admis le larcin, ni même la possession de l’objet. Il
s’était contenté de laisser un fouillis d’écrits étranges et incompréhensibles
qui ne faisaient qu’ajouter au mystère.
Le matin du départ, peu avant de se mettre en route, ils
s’assirent une dernière fois au bord de la rivière. Les chevaux étaient déjà
sellés et les sacs de flèches accrochés aux troussequins.
— Ton père n’a sûrement pas rapporté le Graal à
Astarac, n’est-ce pas ? raisonna la jeune femme.
— Non.
— Donc il n’est pas là.
— Je ne sais même pas s’il existe. Je pense que le
Saint-Graal est un rêve des hommes, le rêve d’un monde parfait… d’un monde qui
pourrait l’être, en tout cas. S’il existait véritablement, alors nous verrions
tous que le monde autour de nous n’est pas idéal et que ce rêve est
irréalisable.
Il haussa les épaules, puis se mit à gratter une tache de
rouille sur une maille.
— Tu ne penses pas qu’il existe et pourtant tu le
cherches ?
Thomas secoua négativement la tête.
— Je cherche mon cousin. Je veux qu’il me dise ce qu’il
sait.
— Parce que tu y crois quand même, non ?
Il cessa son grattage.
— Je veux y croire. Seulement, si mon père l’a
vraiment possédé, il doit se trouver quelque part en Angleterre. Je l’ai
cherché partout où il aurait pu le cacher. En vain. Mais je veux encore y
croire.
Il resta songeur quelques
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