L'hérétique
instants. Puis :
— J’aimerais le trouver, car alors l’Église serait
obligée de nous réintégrer.
Geneviève éclata de rire.
— Tu es comme un loup, Thomas, qui n’a d’autre rêve que
celui de se joindre à un troupeau de moutons !
Son ami fit mine d’ignorer son ironie. Il se tourna vers
l’horizon oriental.
— C’est la seule cause qui me reste. Le Graal. J’ai
échoué comme soldat.
La jeune femme se leva et le tança durement :
— Tu récupéreras tes hommes, Thomas. Et tu vaincras,
parce que tu es un loup… Mais je pense que tu trouveras aussi le Graal.
— Tu as vu ça aussi dans les éclairs ?
— J’ai vu les ténèbres ! s’enflamma-t-elle. De
vraies ténèbres. Comme une ombre qui va recouvrir le monde. Et toi, tu étais au
milieu, Thomas, bien vivant, et tu resplendissais.
La proscrite tourna les yeux vers le cours d’eau. Un air de
solennité hantait son beau visage.
— Pourquoi ne devrait-il pas y avoir de Graal ?
C’est peut-être ce que le monde attend, ce qui balaiera toute la pourriture et
la déchéance… Tous les prêtres !
Elle cracha par terre.
— Je ne crois pas que ton Graal t’attendra à Astarac.
Mais peut-être trouveras-tu là-bas des réponses à tes questions.
— Ou davantage de questions encore…
— Eh bien, allons le découvrir !
Ils repartirent vers l’est. Après avoir traversé les arbres
entourant la clairière qui les avait accueillis pendant deux jours, ils
regagnèrent rapidement les hautes crêtes nues. Prudemment, le couple continua
d’éviter autant que possible les zones habitées.
Mais un peu plus tard dans la matinée, pour traverser le
Gers, ils furent contraints de retourner au petit village où ils avaient
affronté Joscelyn et ses hommes. Les villageois reconnurent certainement
Geneviève, mais ils ne bougèrent pas : personne n’osait affronter des
cavaliers armés, surtout s’il s’agissait de soldats. En bordure de l’un des
vergers, Thomas remarqua un coin de terre récemment retourné. C’était là qu’ils
avaient dû enterrer les morts de l’escarmouche. Ni lui ni Geneviève ne
prononcèrent une parole en passant près de l’endroit où le père Roubert était
mort, mais Thomas se signa. Si Geneviève surprit le geste, elle n’en montra
rien.
Une fois le gué franchi, ils gravirent la pente boisée
jusqu’au plateau chauve qui surplombait Astarac. Sur leur droite, des bois, et
côté gauche, un chaos de rochers accidentés. Spontanément, le cavalier
s’orienta vers les arbres pour se mettre à couvert, mais Geneviève l’arrêta.
— Quelqu’un a allumé un feu, signala-t-elle en tendant
le doigt vers un minuscule filet de fumée s’élevant à quelque distance
au-dessus des faîtes.
— Des charbonniers, supposa Thomas.
— Ou des coredors, corrigea-t-elle.
Elle tourna bride pour partir à l’opposé.
Thomas la suivit après avoir lancé un regard de regret vers
le bois. Au moment où il tournait la tête, il surprit du coin de l’œil un
mouvement dans les fourrés, quelque chose de furtif, le genre de détail qu’il
avait appris à guetter en Bretagne. Instinctivement, il tira son arc du
fourreau qui le retenait à sa selle.
À cette seconde, un trait jaillit des buissons.
C’était un carreau d’arbalète. Court, trapu, noir. Son
ailette de cuir élimée produisait un bruit vrombissant en vol. Immédiatement,
Thomas talonna sa monture en hurlant un avertissement à Geneviève. Mais il
était trop tard. Le dard passa sous le naseau de son cheval pour aller frapper
l’arrière-train de la jument. Celle-ci s’emballa, une tache rouge sang apparut
sur sa robe blanche autour du bout du carreau qui saillait.
Miraculeusement, Geneviève parvint à demeurer en selle alors
que l’animal emballé filait vers le nord. Le sang giclait. Deux autres carreaux
frôlèrent Thomas qui tentait de rattraper la bête affolée. Il se tourna sur sa
selle pour voir surgir du bois quatre cavaliers et au moins une dizaine
d’hommes à pied.
— File vers les rochers ! hurla-t-il à Geneviève.
Les rochers !
Il se doutait que la jument projetant du sang à chaque
enjambée serait incapable de distancer les chevaux des coredors. Et même
s’il prenait la jeune femme sur sa monture, ils seraient trop lourds.
Dans son dos, il entendait les chevaux à sa poursuite. Leurs
sabots tambourinaient sur l’herbe fine. Devant lui, Geneviève venait enfin
d’atteindre les rochers. Elle
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