L'hérétique
grande salle. Dehors, il faisait nuit et ils
étaient seuls. Un grand feu brûlait dans l’âtre.
Le prisonnier se taisait.
Face à ce mutisme, l’Écossais fronça les sourcils.
— Je pourrais vous vendre.
C’était une pratique assez courante quand un homme faisait
prisonnier un seigneur dont la rançon risquait d’être considérable. Au lieu
d’attendre l’acquittement de celle-ci, il lui était loisible de vendre son
prisonnier à un personnage plus riche, lequel lui réglerait une somme plus
faible, mais supporterait à sa place les longues négociations avant de réaliser
son profit.
Joscelyn inclina la tête en signe d’assentiment.
— Tu pourrais, admit-il, mais tu n’obtiendrais pas
beaucoup d’argent.
— Allons, l’héritier de Bérat, le seigneur de
Béziers ? s’exclama dédaigneusement l’autre. Vous valez une bonne rançon,
non ?
— Béziers n’est qu’une fange à cochons, répondit le
prisonnier avec autant de morgue ; quant à Bérat, ce n’est pas son
héritier qui vaut quelque chose. Lui ne vaut rien. C’est le comte lui-même qui
vaut une fortune. Une fortune !
Il s’interrompit quelques secondes pour observer les
réactions de Robbie.
— Mon oncle est fou, continua-t-il, mais c’est un fou
très riche. Il conserve son or et son argent dans ses caves. Des tonneaux et
des tonneaux de pièces remplis à ras bord. Deux de ces barriques sont pleines
de génoises…
L’Écossais savoura cette révélation. Il se mit à imaginer
tout cet argent reposant dans l’obscurité, les deux barriques remplies de
merveilleuses génoises, des pièces d’or pur. Une seule d’entre elles suffisait
à nourrir, vêtir et armer un homme pendant une année entière. Et il y en avait
deux… Deux barriques !
— Mais mon oncle, poursuivit Joscelyn, est aussi
effroyablement avare. Il ne dépense pas son argent, sauf pour l’Église. S’il a
le choix, il préférera me voir mort et faire d’un de mes frères son nouvel
héritier, sans léser son trésor d’une seule piécette. La nuit, parfois, il
prend une lanterne et gagne les caveaux du château. Il reste là des heures, à
simplement contempler sa fortune…
— Vous me dites, le coupa sèchement Robbie, que
personne ne paiera de rançon pour vous ?
— Ce que je dis, c’est que tant que mon oncle vivra et
sera le comte en titre, je resterai ton prisonnier. Mais si j’étais le comte…
— Vous ?
De plus en plus troublé et circonspect, le Calédonien ne
comprenait plus trop dans quelle direction partait la conversation.
— Mon oncle est malade. Peut-être même mourant, d’après
ce qui a été rapporté, tu l’as toi-même entendu.
Oui, Robbie le savait et, soudain, il comprit où Joscelyn
voulait en venir.
— Si vous étiez le comte… hasarda-t-il prudemment,
alors vous pourriez négocier votre propre rançon vous-même…
— Si j’étais le comte, je verserais la rançon pour me
racheter, moi et tous mes hommes, et je le ferais rapidement !
L’Écossais réfléchit encore.
— Les barriques, elles sont grosses comment ?
finit-il par demander.
Joscelyn tint sa main à environ deux pieds du sol.
— C’est la plus grosse quantité d’or de toute la
Gascogne, précisa-t-il. Il y a là des ducats, des écus, des florins, des agnels [24] ,
des deniers, des génoises, des livres et des moutons…
— Des moutons ?
— Des moutons d’or [25] . Gros et
lourd. Plus qu’il n’en faut pour une rançon.
— Mais votre oncle va peut-être vivre…
— On peut prier pour sa guérison, répondit pieusement
le seigneur de Béziers. Mais si tu me laisses envoyer deux hommes à Astarac,
ils pourront vérifier par eux-mêmes dans quel état de santé il se trouve… Et
peut-être le convaincre d’offrir une rançon…
— Mais vous avez dit qu’il ne payerait jamais !
Robbie faisait mine de ne pas saisir… ou peut-être ne
voulait-il pas comprendre ce que Joscelyn suggérait.
— On peut peut-être le convaincre, estima le
prisonnier, au nom de… l’affection qu’il me porte. Mais seulement si je lui
envoie des fidèles.
— Vous avez dit deux ?
— Assurément. Et si leur démarche échoue, ajouta le
prisonnier innocemment, ils reviendront naturellement ici en captivité.
Qu’as-tu donc à perdre ? Toutefois, tu ne peux pas les laisser circuler
sans armes. Pas dans un pays infesté de coredors…
À la lueur des flammes, l’Écossais essaya de sonder le
visage
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