L'hérétique
lui prit la main pour l’entraîner vers
l’arrière du monastère. Ils remontèrent le sentier des lépreux jusqu’à
l’abbatiale. Quelqu’un sonnait la cloche du monastère pour avertir les frères
que des étrangers armés arrivaient dans leur vallée.
Thomas savait ce qu’ils venaient y faire. Et il savait que
s’ils étaient pris, ils iraient tous deux brûler sur un bûcher. Arrivé dans
l’« oratoire » des lépreux, il courut jusqu’à la petite embrasure
surplombant l’autel du sanctuaire. Il fit passer son arc par l’ouverture, l’entendit
tomber sur le dallage de l’église. Ses flèches, puis le reste des bagages,
empruntèrent le même chemin. Enfin, il s’y glissa lui-même. Le passage était
étroit, mais il parvint à s’y faufiler et se réceptionna lourdement sur le
pavement.
— À ton tour, vite ! cria-t-il à Geneviève.
À l’autre extrémité de la nef, des gens arrivaient.
La jeune femme grimaça de douleur en se tortillant dans la
petite ouverture. Le saut l’effrayait, mais Thomas se plaça juste au-dessous
d’elle et la reçut dans ses bras.
— Par là !
Il ramassa son arc et ses sacs et l’entraîna sur le côté du
chœur, puis derrière l’autel latéral, où la statue de saint Benoît regardait
tristement les villageois paniqués.
Comme Thomas l’avait supposé, la porte dans le renfoncement
était verrouillée. Là, dans ce recoin, personne ne pouvait les voir et il
pensait ne pas avoir été repéré depuis son entrée dans l’abbatiale. Alors, sans
hésiter, il leva sa jambe gauche et donna un grand coup de talon contre le
verrou. Le bruit fut assourdissant. On eût dit qu’un tambour se répercutait
dans toute l’église. La porte avait fortement tremblé, mais elle ne s’était
toutefois pas ouverte. L’archer fit une seconde tentative, plus forte. Au
troisième coup de talon, il fut récompensé. Un grand craquement indiqua que le
pêne du verrou venait de s’arracher du vieux chambranle.
— Descends prudemment, l’avertit-il.
Il la précéda dans l’escalier et l’entraîna dans les
ténèbres profondes de l’ossuaire. Il tâtonna pour gagner l’extrémité orientale
du caveau, là où le renfoncement voûté n’était qu’à moitié rempli d’ossements.
Il jeta ses bagages à l’arrière du monticule, puis aida Geneviève à grimper
dessus.
— Va jusqu’au fond, lui dit-il, et creuse un trou.
Il parcourut toute la crypte, faisant basculer des piles
d’ossements. Des crânes rebondirent et roulèrent sur le sol, des bras et des
jambes s’entrechoquèrent. Quand la cave fut un fouillis de squelettes
éparpillés, il grimpa auprès de Geneviève et l’aida à aménager une cavité sous
les vieux os les plus proches du mur. Repoussant les cages thoraciques, les
bassins, les omoplates, ils creusèrent de plus en plus profond, jusqu’à ce
qu’ils soient bien cachés parmi les morts. Là, pelotonnés dans les ténèbres,
ils attendirent. Longtemps, leur sembla-t-il. Puis soudain, ils entendirent la
porte brisée en haut de l’escalier grincer sur ses gonds. Peu après, ils virent
des ombres grotesques projetées sur le plafond voûté par la lueur tremblotante
d’une lanterne.
Ils perçurent alors les pas maillés des hommes envoyés pour
les débusquer, les capturer et les tuer.
8
Messire Henri Courtois reçut l’ordre d’emmener trente-trois
arbalétriers et quarante-deux hommes d’armes courir mettre le siège devant
Castillon d’Arbizon. Le vieux fidèle du défunt comte obéit aux ordres sans plaisir.
— Je peux mettre le siège, indiqua-t-il à Joscelyn,
mais je ne pourrai jamais prendre le château avec une force aussi faible…
— Les Anglais l’ont bien fait, rétorqua le comte avec
acrimonie.
— La garnison de votre oncle dormait, mais messire
Guillaume d’Evecque ne sera pas si arrangeant. Il s’est acquis une réputation.
Une bonne !
Courtois savait par Robbie qui commandait à Castillon
d’Arbizon. Il avait aussi appris combien d’hommes le Normand avait sous ses
ordres.
Joscelyn pressa son index sur la poitrine du soldat.
— Je ne veux plus qu’un seul archer pille mon
territoire. Empêche-les de le faire. Et donne ça à ces bâtards.
Il tendit à messire Henri un parchemin scellé.
— Ce document leur laisse deux jours pour quitter le
château, expliqua Joscelyn avec désinvolture. S’ils en acceptent les termes, tu
pourras les laisser partir.
Le commandant des
Weitere Kostenlose Bücher