L'hérétique
le Graal, Guy. Cet objet d’or n’a été réalisé
que pour le contenir, mais c’est ce petit cratère qui est le vrai Graal.
Guy le contemplait avec envie, mais il n’osait faire le
moindre mouvement dans sa direction. Messire Guillaume n’attendait qu’un
prétexte pour lever son épée et la lui plonger dans le ventre. Et des archers,
l’Harlequin n’en doutait pas, devaient l’observer depuis les meurtrières du
donjon.
Il ne dit rien quand Thomas prit la flasque à la ceinture de
Geneviève et versa un peu de vin dans la coupe.
— Regarde, dit l’archer.
Guy constata que, pleine de vin rouge, la coupe paraissait
plus sombre, mais il remarqua surtout à la surface du verre un subtil reflet
doré, invisible auparavant. Thomas laissa tomber la gourde par terre, puis,
sans quitter des yeux ceux de son cousin, il leva le cratère à sa bouche et le
vida d’un trait.
— Hic est enim sanguis meus, dit Thomas,
rageusement.
Les mots mêmes du Christ. « Ceci est mon sang. »
L’archer tendit la coupe vide à Geneviève et celle-ci
l’emporta immédiatement. Messire Guillaume lui emboîta le pas.
— Un hérétique boit dans le Graal, souligna Thomas, et
le pire est à venir.
— Le pire ? demanda Guy, calmement.
— Nous allons le placer sous l’arche de la porte. Et
quand votre canon abattra le reste du bastion, le Graal sera pulvérisé. Tout ce
que tu récupéreras, quand nous serons morts, c’est un morceau d’or tordu et,
peut-être, quelques fragments de verre.
Vexille sourit.
— Le Graal ne peut être brisé, Thomas.
— Alors prends le risque, si tu le veux, au nom de
cette croyance ! lui lança l’archer avant de tourner les talons et de
repartir vers le château.
— Thomas ! Thomas, je t’en prie ! le rappela
l’Harlequin. Écoute-moi.
L’Anglais n’avait aucune envie de discuter davantage, mais
la voix de son cousin était si implorante qu’il se retourna à contrecœur.
C’était la voix d’un homme brisé.
Il ne risquait pas grand-chose à l’écouter quelques instants
de plus. En outre, il avait eu la possibilité de formuler sa menace : si
l’attaque continuait, le Graal serait brisé. Maintenant, l’honneur lui
commandait de laisser son cousin lui faire son offre, même s’il n’entendait pas
lui faciliter la chose.
— Pourquoi devrais-je t’écouter ? Pourquoi
devrais-je écouter l’homme qui a tué mon père ? L’homme qui a tué ma
femme…
— Je te demande d’écouter un enfant de Dieu.
Thomas faillit éclater de rire, mais attendit la suite.
Guy inspira. Intérieurement, il essayait de structurer ce
qu’il allait dire. Levant les yeux vers le ciel, il vit des nuages bas, qui
annonçaient une nouvelle averse.
— Le monde est en proie au mal et l’Église est
corrompue. Le diable accomplit son œuvre sans entrave. Avec le Graal, nous
pourrions changer cela. L’Église pourrait être nettoyée. Une nouvelle croisade
libérerait le monde du péché. Le Graal, Thomas, peut amener le royaume des
Cieux sur terre.
Il avait dit tout cela sans jamais détacher ses yeux du
ciel. Il les abaissa pour regarder son cousin.
— C’est tout ce que je veux, Thomas.
— Alors, mon père est mort pour ça ?
— J’aurais voulu que ce ne soit pas nécessaire, mais il
cachait le Graal. C’était un ennemi de Dieu.
Thomas se prit alors à haïr Guy plus qu’il ne l’avait jamais
haï. Même si son cousin parlait d’une voix humble et sensée, chargée d’émotion,
il le vomissait comme il n’avait jamais vomi personne.
— Dis-moi ce que tu veux maintenant ! s’impatienta
l’archer.
— Ton amitié.
— Mon amitié ?!
— Le comte de Bérat est malfaisant, expliqua
l’Harlequin. C’est un tyran, un idiot, un impie qui ignore Dieu. Si tu fais
sortir tes hommes du château, je me retournerai contre lui. Ce soir, Thomas,
toi et moi, nous pouvons être les maîtres, ici. Et demain, nous partirons pour
Bérat, nous ferons savoir que nous avons retrouvé le Graal, et nous inviterons
tous les hommes de la chrétienté à venir le voir…
Guy marqua une pause. Il scrutait le visage de son cousin,
en quête d’une réaction.
— Remontons ensemble vers le nord, continua-t-il. Paris
sera la prochaine étape. Nous pouvons nous débarrasser de ce stupide roi
Valois. Nous nous emparerons du monde, Thomas, et nous l’ouvrirons à l’amour de
Dieu. Réfléchis-y, Thomas ! Toute la grâce et la beauté de Dieu
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