L'hérétique
regard dans cette direction
pour tenter de voir ce qu’ils fixaient ainsi. Il put discerner l’armure pendant
aux remparts du donjon, les cottes de mailles arrachées à ses hommes morts et
suspendues là en guise d’insulte. Il put voir aussi les écus capturés, dont
celui de Robbie, avec le cœur rouge des Douglas, pendant sens dessus dessous au
milieu des hauberts.
Mais Guy Vexille et les autres n’étaient pas en train de
contempler ces tristes trophées. Non, ils fixaient le rempart inférieur, plus
précisément le parapet à demi effondré au-dessus de la porte du château.
Et là, dans la pluie, Joscelyn vit de l’or.
Robbie prit le risque de s’exposer aux archers du château et
remonta la rue pour voir l’objet doré de plus près. Aucune flèche ne le prit
pour cible. Le château semblait désert, silencieux en tout cas. Il marcha
presque jusqu’à la petite place, pour pouvoir distinguer la chose plus
clairement. Là, il resta en arrêt, interdit, incrédule.
Enfin, les larmes aux yeux, il tomba à genoux.
— Le Graal, murmura-t-il.
Soudainement, d’autres hommes se joignirent à lui et
l’imitèrent en s’agenouillant sur les pavés.
— Le quoi ? demanda le comte.
Guy Vexille ôta son chapeau et mit à son tour genou à terre.
Les yeux fixés sur le rempart, il lui semblait que la coupe précieuse
rayonnait.
Là, devant lui, dans la fumée, au cœur même de la
destruction, resplendissant telle la vérité même, il y avait le Graal.
Le canon ne tonna plus ce jour-là, au grand dam de Joscelyn,
furieux.
Le nouveau comte de Bérat se fichait bien que les défenseurs
aient une maudite coupe en leur possession. Ils pouvaient bien détenir la vraie
croix, la queue de la baleine de Jonas, les langes de l’Enfant Jésus, la
couronne d’épines et même les clés du paradis, il aurait volontiers écrasé le
tout sous la maçonnerie pulvérisée du château. Tout le monde n’était pas du
même avis, apparemment.
Les prêtres, de concert avec les assiégeants, vinrent le
trouver à genoux pour obtenir une trêve. Même Guy Vexille se trouvait parmi
eux, et cette soumission respectueuse de la part d’un homme qu’il craignait
incita Joscelyn à donner suite à la requête.
— Nous devons leur parler, indiqua l’Harlequin.
— Ce sont des hérétiques, rétorquèrent les prêtres.
Mais le Graal doit leur être repris.
— Que suis-je censé faire ? demanda Joscelyn.
Simplement le leur réclamer ?
— Vous devez négocier, précisa Vexille.
— Négocier ?
Cette seule pensée révolta le comte.
Puis, brusquement, une idée lui traversa l’esprit. Le Graal…
S’il existait – et apparemment tous ceux qui l’entouraient le
croyaient – et s’il était réellement ici à Castillon d’Arbizon, sur son
domaine, il pouvait en tirer profit. Il suffisait de ramener la coupe à Bérat,
où des fous comme son oncle défunt paieraient des fortunes pour le voir. On
installerait de grandes jarres à la porte du château, songea-t-il, et des
colonnes de pèlerins y jetteraient leur argent pour être autorisés à contempler
le Graal. Oui, conclut-il, il pouvait tirer profit de cette coupe dorée. En
outre, en exhibant ainsi l’objet et en ne tirant plus une seule flèche, la
garnison ennemie signifiait elle aussi clairement son désir de parlementer.
— Je vais leur parler, déclara Vexille.
— Pourquoi vous ? grommela Joscelyn.
— Allez-y, je vous en prie, Monseigneur, répondit
l’Harlequin d’un ton déférent.
Mais le comte n’avait aucun désir d’être de nouveau
confronté aux hommes qui l’avaient gardé prisonnier. La prochaine fois qu’il
les verrait, il voulait qu’ils soient morts. D’un hochement de tête, il signifia
à Vexille qu’il pouvait faire ce qu’il entendait.
— Mais ne leur offrez rien ! prévint-il. Rien que
je n’aie autorisé.
— Naturellement. Je ne scellerai aucun accord sans
votre permission, confirma Vexille.
Des ordres furent donnés pour qu’aucun arbalétrier ne tire.
Alors, tête nue et sans aucune arme, l’Harlequin remonta la
rue principale. Il dépassa les ruines fumantes des maisons. À l’entrée d’une
ruelle, un homme était assis. L’Harlequin nota ses vêtements maculés de vomi et
surtout son visage en sueur et couvert d’immondes pustules sombres. Guy
exécrait de telles visions. Homme méticuleux, scrupuleusement propre, la
puanteur et les maladies de l’humanité le
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