L'hérétique
lueur diffuse du jour. Là, dans
le timide rayon de soleil, il resta interdit, émerveillé et fasciné.
Gaspard avait réalisé une coupe de cire. L’ouvrage lui avait
pris des semaines. Le cratère lui-même pouvait à peine contenir une pomme,
tandis que le pied faisait six pouces de hauteur. L’orfèvre avait donné à ce
dernier une forme de tronc d’arbre et sa base représentait trois racines
s’écartant du fût. Les branches de l’arbre se divisaient en filigranes qui
constituaient la gangue de dentelle de la coupe. Les détails de ceux-ci étaient
d’une exquise minutie. On distinguait parfaitement les feuilles minuscules et
de petites pommes perdues dans la ramure. Ultime subtilité : trois
délicats petits clous avaient été représentés sur le bord du calice.
— C’est magnifique ! s’extasia le prélat, ébahi.
— Les trois racines, Votre Éminence, représentent la
Trinité, expliqua l’artiste.
— Je l’avais soupçonné.
— L’arbre lui-même, c’est l’arbre de vie.
— Et c’est pour ça qu’il porte des pommes, devina le
cardinal.
— Quant aux trois clous, ils indiquent que c’est cet
arbre qui a donné le bois de la croix de Notre-Seigneur, ajouta Gaspard pour
compléter son explication.
— Cela ne m’avait pas échappé, confia l’ecclésiastique.
Il ramena la splendide coupe de cire vers la table et la
reposa soigneusement, presque révérencieusement.
— Où est la coupe de verre ?
— Ici, Votre Éminence.
L’orfèvre ouvrit une boîte et en sortit une sorte d’épais
bol de verre qu’il tendit au prêtre. L’objet verdâtre et de facture quelque peu
grossière paraissait très ancien. Par endroits, la coupe était enfumée et,
ailleurs, on repérait de minuscules bulles emprisonnées dans la pâle matière
translucide. Le cardinal pensait qu’elle était d’origine romaine, mais il n’en
était pas certain. Toutefois, plus il la contemplait, plus il estimait que son
hypothèse était juste. La coupe dans laquelle le Christ avait bu son dernier
verre de vin était probablement mieux adaptée à la table d’un paysan qu’au
festin d’un noble. Louis Bessières l’avait découverte dans une échoppe de Paris
et il l’avait acquise pour une poignée de piécettes de cuivre. Elle était alors
dotée d’un pied informe. Le prélat avait ordonné à Gaspard de le supprimer, ce
qu’il avait fait si excellemment que l’on n’aurait jamais pu deviner qu’il y en
avait eu un auparavant.
Très précautionneusement, l’ecclésiastique positionna le bol
de verre dans son écrin de cire filigrané. Tétanisé à l’idée que son
« patron » pourrait briser l’une des feuilles délicates, le jeune
artiste retenait sa respiration. La coupe s’ajustait parfaitement.
Le Graal ! Monseigneur Louis Bessières contemplait la
coupe de verre dans son réceptacle de cire. Il l’imaginait enchâssée dans son
délicat lacis d’or fin, trônant sur un autel éclairé par de grands cierges blancs.
Il y aurait un chœur de garçons chantant des hymnes, et des parfums d’encens.
Devant le saint calice s’agenouilleraient des rois et des empereurs, des
princes et des ducs, des comtes et des chevaliers.
Depuis fort longtemps, le cardinal-archevêque de Livourne
désirait le Graal de toutes ses forces. Or, quelques mois plus tôt, il lui
était revenu aux oreilles une rumeur en provenance du sud de la France, de
cette terre même où l’on brûlait les hérétiques : la sainte coupe du
Christ aurait bel et bien existé et deux garçons de la famille Vexille, un
Français et un archer anglais, se seraient mis chacun de son côté en quête de
la relique. Mais, estimait le prélat, ils ne pouvaient en aucun cas la vouloir
autant que lui… ni la mériter autant que lui. S’il mettait la main sur le
Graal, il se retrouverait ainsi en possession d’une puissance si terrifiante
que les rois et le pape lui-même se presseraient chez lui pour recevoir sa
bénédiction. Et quand Clément, l’actuel pape, mourrait, lui, Louis Bessières, hériterait
de son trône et de ses clés… Seulement… Seulement, pour que tout cela
survienne, il lui fallait le Graal. Alors, oui, il le voulait et il le
cherchait ardemment. Et un jour, dans son oratoire privé, tandis qu’il fixait
la petite coupelle de verre teinté, il eut une révélation. Finalement, la
possession du Graal lui-même – du vrai – n’était pas nécessaire.
Peut-être existait-il
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