L'hérétique
nettement qu’il était constitué de
blocs de pierre taillée. Le comte s’empara de la pioche du serf et cogna la
pierre, se convainquant aussitôt que la paroi sonnait creux.
— Dégagez-le ! ordonna-t-il, au comble de
l’excitation. Dégagez-le ! C’est là ! Je le sais !
Un sourire triomphal sur les lèvres, il fixait presque
dédaigneusement le dominicain.
Au lieu de partager l’enthousiasme suscité par le mur
enterré, le père Roubert avait levé les yeux vers Joscelyn. Revêtu de sa belle
armure de tournoi, celui-ci venait d’arriver à cheval.
— Il y a une fumée dans la vallée voisine,
indiqua-t-il. C’est celle d’un fanal.
Le comte pouvait difficilement supporter l’idée d’abandonner
son mur, mais il se résolut tout de même à remonter à l’échelle. Revenu à l’air
libre, il tourna son regard vers l’ouest. Dans le ciel pâle, une volute de
fumée sale dérivait vers le sud. Apparemment, ce signal d’alarme avait été
allumé juste de l’autre côté de la crête la plus proche.
— Les Anglais ? interrogea le comte, les yeux
écarquillés.
— Qui d’autre ? répondit son neveu.
Les hommes d’armes de Bérat se trouvaient au pied du sentier
qui grimpait vers le château. Tous étaient en armure, prêts au combat.
— Nous pouvons y être en moins d’une heure, estima le
jeune homme. Et ils ne nous attendront pas.
— Ils auront des archers, avertit une nouvelle fois son
oncle.
Mais une violente quinte de toux l’interrompit et il se mit
à étouffer.
Très inquiet, le père Roubert observa le vieil homme. Il
comprenait que celui-ci était pris de fièvre. S’il insistait pour continuer les
fouilles dans ce vent glacial, ce vieillard entêté serait l’entier responsable
de l’aggravation de son mal.
— Les archers seront là, répéta le comte, les yeux en
pleurs. Prends garde. Il ne faut pas les traiter à la légère.
Les mises en garde de son oncle exaspéraient Joscelyn.
Heureusement, le dominicain vint à sa rescousse :
— Nous savons qu’ils se déplacent en petits groupes,
Monseigneur, et qu’ils laissent des archers derrière eux pour protéger leur
forteresse. Il n’y aura sans doute pas plus d’une dizaine de ces maudites
crapules là-bas…
— Une telle opportunité ne se représentera peut-être
jamais, surenchérit Joscelyn.
— Nous n’avons pas beaucoup d’hommes, continua
d’opposer le comte, dubitatif.
À qui la faute ? pensa le chevalier.
Il avait demandé à son oncle d’amener plus de trente hommes
d’armes. Mais ce vieux fou avait prétendu que ce nombre suffirait amplement.
Le comte justement s’était retourné vers le trou, comme s’il
se désintéressait de la question des Anglais. Fixant le minuscule pan de mur
crasseux au fond du caveau, il sentit ses angoisses le submerger.
— Trente hommes suffiront, insista Joscelyn, si les
ennemis ne sont pas nombreux.
Le père Roubert observait lui aussi la fumée.
— N’est-ce pas précisément l’objet de ces feux,
Monseigneur, fit-il remarquer, que de nous faire savoir quand l’ennemi est
assez près pour le frapper ?
C’était en vérité l’une des fonctions de ces fanaux, mais le
comte aurait voulu que messire Henri Courtois, son chef militaire, soit là pour
donner son avis.
— Si le groupe ennemi est réduit, insista le religieux,
trente hommes d’armes suffiront.
Bérat comprit qu’il n’aurait pas la paix pour explorer le
mur mystérieux tant qu’il n’aurait pas accordé sa permission. Aussi finit-il
par acquiescer de la tête.
— Mais sois très prudent, ordonna-t-il à son neveu.
Fais d’abord une reconnaissance. Et souviens-toi des conseils de Vegetius.
Joscelyn n’ayant jamais entendu parler de ce personnage, il
lui eût été difficile de se rappeler ses conseils. Son oncle dut le sentir, car
il eut une idée soudaine.
— Tu vas emmener le père Roubert, et il te dira s’il
est sage d’attaquer ou pas. Tu me comprends, Joscelyn ? Le père Roubert te
conseillera et tu suivras ses avis.
Cette initiative présentait deux avantages. En premier lieu,
le frère était un homme avisé et intelligent, qui ne laisserait pas l’impétueux
Joscelyn faire quoi que ce soit de déraisonnable. Ensuite, cela débarrasserait
le comte de la présence ténébreuse du religieux.
— Soyez de retour au crépuscule, ordonna le vieil homme.
Et gardez Vegetius à l’esprit. Par-dessus tout, pensez à ses sages
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