L'hérétique
conseils.
Il avait précipitamment lancé ces derniers mots en
redescendant l’échelle.
Joscelyn toisa amèrement le frère prêcheur. Il n’aimait pas
les ecclésiastiques en général, et le père Roubert en particulier.
Bon, mais si la présence du dominicain est le prix à payer
pour avoir le droit de tuer des Anglais, ainsi soit-il, se dit le jeune homme.
— Vous avez un cheval, mon père ? lui
demanda-t-il.
— Oui, Monseigneur.
— Alors, allez le chercher.
Joscelyn tourna bride et éperonna son destrier pour
rejoindre ses hommes en bas de la colline.
— Je veux les archers vifs ! leur lança-t-il quand
il les atteignit. Pour que l’on puisse se partager leur rançon !
Ensuite, ils trancheraient les maudits doigts de ces damnés
Anglais, leur arracheraient les yeux et les brûleraient. C’était là le rêve
éveillé que formait Joscelyn tout en entraînant ses hommes vers l’ouest. Il
aurait voulu progresser encore plus vite, atteindre la vallée voisine avant que
les ennemis s’évanouissent dans la nature, mais des hommes d’armes en route
pour le combat ne pouvaient se déplacer rapidement. Certains chevaux –
comme celui de Joscelyn – étaient recouverts d’un caparaçon de cuir et de
mailles. À cause du poids de cette cuirasse – sans parler de celui du
cavalier et de sa propre armure –, on était obligé de faire progresser la
monture au pas si l’on voulait qu’elle soit fraîche pour la charge. Quelques
hommes étaient accompagnés d’écuyers qui tiraient les chevaux de charge
transportant de lourds faisceaux de lances. En somme, les hommes d’armes ne
galopaient pas vers le combat, mais s’y traînaient lentement, tels des bœufs.
— Vous devez garder à l’esprit le conseil de votre
oncle, Monseigneur, rappela le père Roubert à Joscelyn.
En réalité, le dominicain parlait surtout pour oublier sa
nervosité. En temps normal, le frère était un homme grave et réservé, très
conscient de sa dignité chèrement acquise, mais là, il s’avançait en territoire
inconnu dangereux. Dangereux… mais terriblement excitant !
— Le conseil de mon oncle, répondit perfidement le
jeune homme, était de tenir compte des vôtres. Alors dites-moi, mon père, que
savez-vous du combat ?
— J’ai lu moi aussi Vegetius [20] répliqua froidement le père
Roubert.
— Mais, par l’enfer, de qui s’agit-il ?
— Inutile de jurer, Monseigneur. Il s’agit d’un Romain.
Et il est encore considéré comme l’autorité suprême en matière militaire. Son
traité est intitulé Epitoma rei militares, autrement dit « Essence
de l’art militaire ».
— Et que recommande cette… essence ? s’enquit le
jeune homme, sarcastique.
— Principalement, si mes souvenirs sont exacts,
d’observer soigneusement les flancs de l’ennemi en quête d’une opportunité à
saisir et de ne jamais attaquer sans une reconnaissance minutieuse.
Le grand heaume de tournoi de Joscelyn pendait à son
pommeau. Le chevalier baissa les yeux sur la petite jument du dominicain.
— Parfait. Vous montez le cheval le plus léger, mon
père, dit-il d’un ton enjoué, alors vous pouvez la faire, cette reconnaissance.
— Moi ?
La suggestion parut outrager le moine.
— Partez en avant, voyez ce que ces bâtards font, puis
revenez nous le dire. Vous êtes censé me dispenser des conseils, n’est-ce
pas ? Comment comptez-vous le faire, si vous n’avez pas procédé
préalablement vous-même à une reconnaissance ? N’est-ce pas ce que
conseille votre… végétal, votre essence, comme vous dites ?
Obéissant à contrecœur, le père Roubert lança sa jument en
avant.
— Eh ! Pas maintenant, vous êtes fou ! C’est
trop tôt. Ils ne sont pas là-haut, mais dans la prochaine vallée.
D’un mouvement du menton, il montra la fumée au-dessus de la
crête. Les volutes semblaient s’épaissir.
— Attendez au moins que nous ayons atteint les arbres,
de l’autre côté de la colline…
À cet instant, Joscelyn repéra une poignée de cavaliers sur
le sommet chauve de l’éminence. Ils étaient loin et s’enfuirent dès qu’ils
aperçurent les hommes de Bérat. Des coredors, très probablement, estima
le jeune homme. Dans la région, tout le monde savait que ces brigands suivaient
les Anglais comme leurs ombres, dans l’espoir d’en attraper un pour décrocher
la récompense que le comte offrait pour la capture d’un archer vif… Si cela ne
tenait
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