L'hérétique
Jésus. Et maintenant, le voilà qui venait dans cette
misérable vallée d’Astarac pour débusquer de nouvelles reliques… Lesquelles,
exactement ? Joscelyn l’ignorait, car ni le comte ni le père Roubert ne le
lui avaient dit. Moyennant quoi, le jeune homme était certain qu’il s’agissait
encore d’une quête insensée.
En compensation, il se retrouvait à la tête de trente hommes
d’armes, mais il n’y avait pas franchement de quoi se réjouir, puisque, sur
l’injonction stricte du comte, ils avaient ordre de ne pas s’éloigner à plus de
deux kilomètres d’Astarac.
« Tu es ici pour me protéger », avait-il indiqué à
Joscelyn.
Le protéger de quoi ? s’était demandé son neveu. De
quelques coredors qui n’auraient jamais osé s’attaquer à de vrais
soldats ? Alors, pour s’occuper, il avait tenté d’organiser un tournoi
dans les prairies du village, mais les soldats de son oncle étaient pour la
plupart déjà âgés. Peu avaient combattu au cours des dernières années, et ils
s’étaient accoutumés à une vie douillette. Préférant utiliser son or pour
dénicher des toiles d’araignée, le comte n’avait naturellement pas consacré un
écu à engager de nouvelles recrues. Joscelyn avait beau essayer d’instiller
quelque esprit combatif aux hommes qu’il avait sous son commandement, il était
conscient que pas un ne ferait un adversaire décent. Même quand ils joutaient
entre eux, ils le faisaient sans enthousiasme. Seuls les deux compagnons qu’il
avait amenés à Bérat manifestaient de l’ardeur au combat. Hélas, il les avait
affrontés si souvent qu’il connaissait tous leurs mouvements favoris, de la
même manière qu’eux connaissaient les siens. Il perdait son temps et il le
savait. Alors il priait avec plus de ferveur que jamais pour la mort prochaine
de son oncle. C’était pour cette seule raison que Joscelyn demeurait à Bérat,
pour être sur place, prêt à hériter des richesses fabuleuses que l’on disait
entreposées dans les souterrains du château. Dès qu’il aurait mis la main
dessus, par Dieu, il les dépenserait ! Et quel grand brasier il ferait
avec les vieux livres et les papiers de son oncle ! On en verrait les
flammes jusqu’à Toulouse ! Il avait aussi des projets clairs pour la
comtesse, cette cinquième épouse que son oncle gardait plus ou moins enfermée
dans la tour sud du château pour être sûr, si elle venait à porter un bébé,
qu’il serait bien le sien. Joscelyn lui labourerait le ventre comme il faut,
puis il renverrait la dodue gueuse à la rigole d’où elle était sortie.
Parfois, il se prenait même à rêver d’assassiner son oncle,
mais il savait que cela ne manquerait pas de créer des problèmes. Donc, il
attendait, espérant que le vieil homme meure assez vite.
Pendant que son neveu rêvait d’héritage, le comte rêvait du
Graal. Il avait décidé de fouiller ce qui restait du château et, comme le
coffret peint avait été découvert dans la chapelle, il donna l’ordre à une
dizaine de serfs de soulever les vieilles dalles pour aller explorer les
caveaux qui devaient dormir en dessous. Comme prévu, ils y trouvèrent plusieurs
sépultures. Les lourds cercueils furent sortis des niches et ouverts de force.
À l’intérieur de chaque sarcophage de pierre, ils se heurtèrent au cercueil de
plomb qui protégeait fréquemment le troisième coffre, généralement en orme. Il
fallut fracasser le plomb à coups de hache. Les épais morceaux de métal furent
tirés et déposés sur un chariot pour être ramenés à Bérat. Il n’y avait pas de
petit profit, mais le comte en espérait un beaucoup plus grand. Ils exhumèrent
des squelettes jaunis et desséchés. Leurs doigts se touchaient, en prière. Dans
quelques-uns des cercueils, ils trouvèrent divers objets de valeur. Certaines
des défuntes avaient été inhumées avec leurs colliers ou leurs bracelets. Le
comte déchira les linceuls flétris pour récupérer tout le butin qu’il pouvait.
Mais ici, point de Graal. Seulement des crânes et des morceaux de peau, noire
et sèche comme un vieux parchemin. Une femme arborait encore de longs cheveux
dorés qui émerveillèrent le vieillard.
— Je me demande si elle était belle… souffla-t-il au
père Roubert.
Il parlait du nez, toussait fréquemment.
— Elle attend le jour du Jugement dernier, répondit
amèrement le dominicain, qui désapprouvait totalement cette profanation
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