L'hérétique
l’interpellaient. Et
soudain, il comprit que l’idée de voyager seul angoissait l’Écossais, qui
pourtant montait au combat sans la moindre appréhension. C’était une chose de
voyager chez soi, dans un pays où les gens parlaient votre langue, et une autre
de parcourir des centaines de lieues à travers des contrées où l’on utilisait
au moins une dizaine de dialectes étranges.
— Ce qu’il faut que tu fasses, lui conseilla Thomas,
c’est trouver d’autres personnes suivant la même route que toi. Il y en aura
plein, tu verras, et ils auront tous envie de compagnie.
— C’est ce que tu as fait, quand tu es allé de Bretagne
en Normandie ?
Thomas sourit.
— J’avais revêtu une robe de dominicain. Personne n’a
envie d’un dominicain pour compagnon de voyage, mais personne ne veut non plus
le détrousser. Tout va bien se passer, Robbie. N’importe quel marchand aura
envie de la compagnie d’un jeune homme avec une bonne épée. Ils t’offriront le
meilleur de leurs filles pour que tu voyages avec eux.
— J’ai donné ma parole, rappela Robbie tristement.
Puis il réfléchit une seconde avant de demander :
— Est-ce que Bologne se trouve près de Rome ?
— Je ne sais pas.
— J’ai envie de voir Rome. Tu penses que le pape y
retournera un jour ?
— Dieu seul le sait.
— J’aimerais quand même voir Rome, répéta l’Écossais
avec envie.
Il resta songeur une seconde, puis sourit à Thomas.
— Je dirai une prière pour toi, là-bas.
— Dis-en deux, répondit son ami. Une pour moi et une
pour Geneviève.
Robbie se tut. Le moment de la séparation était presque
arrivé et il ne savait plus que dire. Les deux hommes avaient ralenti leurs
chevaux. Devant eux, Jake et Sam avaient pris un peu d’avance. Ils étaient déjà
parvenus en vue du fond de la vallée d’Astarac. De petites volutes de fumée
s’élevaient encore des chaumes incendiés et montaient dans l’air frais.
— Nous nous reverrons, Robbie, l’assura Thomas en
enlevant son gant.
Il lui tendit sa main droite.
— Oui, je sais.
— Et nous serons toujours amis, même si nous nous
retrouvons dans des camps opposés sur un champ de bataille.
Un sourire mutin passa sur les traits de Robbie.
— La prochaine fois, Thomas, les Écossais
l’emporteront. Jésus, nous aurions déjà dû vaincre à Durham ! Nous sommes
passés tout près.
— Tu sais ce que disent les archers… Être près, ça ne
compte pas. Veille sur toi, Robbie.
— J’y compte bien.
Ils se serrèrent la main. Soudain, Jake et Sam firent
pivoter leurs chevaux et revinrent au galop.
— Hommes d’armes ! hurla le premier.
Thomas éperonna sa monture et poussa jusqu’au bord de la
crête. De là, il pouvait voir la route qui menait à Astarac. À peine à sept
cents mètres, il aperçut toute une colonne de cavaliers, des hommes en cottes
de mailles avec des épées et des écus. En tête du groupe, la bannière pendait
le long de sa hampe, si bien que l’Anglais ne pouvait identifier son motif. Des
écuyers tenaient des chevaux de somme chargés de longues et lourdes lances. Ils
se dirigeaient droit sur lui – à moins que ce ne soit sur la grande
colonne de fumée qui montait du village que ses hommes étaient en train de
piller dans la vallée voisine. Thomas se contenta de les observer. La journée
avait paru si paisible jusque-là, si totalement dépourvue de toute menace. Mais
un ennemi avait enfin surgi. Depuis des semaines, ils n’avaient rencontré
aucune résistance. Jusqu’à maintenant.
Pour Robbie, il n’était plus question de pèlerinage. Au
moins provisoirement.
Car il allait y avoir un combat.
Alors Thomas et ses compagnons repartirent tous vers
l’ouest.
Joscelyn, le seigneur de Béziers, pensait que son oncle
était un vieux fou. Pis : un vieux fou riche ! Si le comte de Bérat
avait partagé ses richesses, les choses auraient assurément été différentes.
Mais il était notoirement avare, sauf quand il s’agissait de doter l’Église ou
de se procurer des reliques, telle cette gerbe de paille souillée qu’il avait
échangée au pape d’Avignon contre un coffre plein d’or ! Joscelyn n’avait
eu besoin que d’un rapide coup d’œil sur la prétendue couche de l’Enfant Christ
pour comprendre qu’il s’agissait simplement de paille usée provenant des
étables papales. Mais son oncle était convaincu d’avoir effectivement acquis la
première litière de
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