L'hérétique
qu’ils n’atteindraient jamais. Car entre les deux, dans les pâtures
avoisinantes, ils allaient mourir.
Quinze hommes d’armes protégeaient la seule rue de
l’endroit. Pour le moment, ils se terraient dans la cour d’une grosse
chaumière, mais, quand l’ennemi sortirait du gué, ils surgiraient pour lui
barrer la route. Messire Guillaume avait demandé qu’on amène une charrette de ferme
qui serait, elle aussi, poussée en travers de la rue pour former une barrière
contre les cavaliers. En vérité, Thomas pensait que les quinze hommes
n’auraient même pas à se battre, car derrière les haies des vergers, de chaque
côté de la route, il avait déployé ses archers. C’est à eux que reviendrait la
tuerie initiale. Tranquillement installés, ils pouvaient s’offrir le luxe de
bien préparer leurs flèches : ils les avaient plantées de manière très
ordonnée dans les racines de la haie. Les premières étaient des « têtes
larges », ces barbillons en forme de coin dont les longues pointes
latérales faisaient qu’une fois qu’ils avaient pénétré la chair on ne pouvait
plus les en sortir. Les archers les aiguisaient sur des pierres à affûter qu’ils
conservaient dans de petites bourses.
— Vous attendrez qu’ils atteignent la borne du champ,
leur indiqua Thomas.
Près de la route, une pierre peinte en blanc indiquait
l’endroit où la pâture d’un homme s’achevait et où celle d’un autre commençait.
Quand les cavaliers atteindraient ce repère, leurs montures seraient frappées
par les barbillons, prévus pour déchirer profondément, blesser effroyablement
et rendre les chevaux fous de douleur. Dès cette première salve, certains
destriers s’effondreraient dans la poussière, mais d’autres survivraient et
contourneraient les bêtes mourantes pour poursuivre la charge. Alors, quand
l’ennemi serait un peu plus proche, les archers utiliseraient leurs flèches
boujons.
Ces dernières étaient conçues pour percer les armures. Les
meilleures avaient des fûts faits de deux sortes de bois. Les six pouces de
frêne ou de peuplier étaient complétés par du chêne lourd maintenu en place par
de la colle de sabot. À l’extrémité du chêne, on fixait une tête d’acier aussi
longue qu’un majeur humain, aussi fine qu’un auriculaire de femme et aussi
pointue qu’une aiguille. Cette tête légère en forme d’épingle, appuyée sur le
chêne plus lourd, n’avait pas de barbelure. Ce n’était qu’une longueur d’acier
sans aspérités qui perçait les cottes de mailles et pénétrait même les
cuirasses si elle les frappait bien perpendiculairement. Les barbillons tuaient
les chevaux, les « boujons » tuaient les hommes. S’il fallait une
minute aux cavaliers pour aller de la borne du champ jusqu’à l’orée du village,
les vingt archers de Thomas auraient le temps de tirer au moins trois cents
flèches et il leur en resterait le double en réserve.
Le jeune homme avait appliqué cette tactique quantité de
fois auparavant. En Bretagne, où il avait appris son art, tapi derrière des
haies, il avait ainsi contribué à détruire des dizaines d’ennemis. Les Français
l’avaient appris à leurs dépens et, depuis, ils avaient pris l’habitude
d’envoyer des arbalétriers en tête. Mais les flèches les tuaient pendant qu’ils
rechargeaient leurs lourdes armes, et les chevaux n’avaient alors plus d’autre
choix que de charger ou de battre en retraite. Dans un cas comme dans l’autre,
les archers anglais étaient les rois du champ de bataille, car aucune autre
nation n’avait appris à se servir du grand arc en bois d’if.
Les archers, tout comme les hommes de messire Guillaume,
étaient cachés. En revanche, quelques hommes d’armes étaient restés en vue pour
servir d’appât, et c’était Robbie qui les commandait. La plupart de ces soldats
s’étaient répartis autour du tumulus, au nord de la seule rue du village. Deux
d’entre eux faisaient mine de creuser. Le reste de la compagnie était
simplement assise, comme si les hommes se reposaient. Un peu plus loin, deux de
leurs camarades alimentaient régulièrement le bûcher du petit bourg, dans
l’espoir que la fumée attirerait leurs ennemis. Thomas et Geneviève se
dirigèrent vers le monticule. Tandis que la jeune femme attendait au pied du
tertre, son compagnon grimpa dessus pour regarder dans le grand trou que messire
Guillaume avait fait creuser.
— On a trouvé quelque
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