L'hérétique
de pouvoir rapidement l’enlever afin de mieux voir un
adversaire à demi battu. Il avait simplement oublié qu’il n’était pas en
tournoi. Son casque pivota sur ses épaules. Les fentes en forme de croix pour
les yeux disparurent et il se retrouva plongé dans les ténèbres. En aveugle, il
agita son épée dans le vide. Soudain, il se sentit vaciller. En une seconde,
tout son univers bascula et ne fut plus qu’un effroyable tintamarre de coups
d’acier retentissants. Isolé sensoriellement, il ne pouvait rien voir, rien
entendre, tandis qu’à l’extérieur Robbie lui martelait le casque à grands coups
d’épée.
Partout sur le pré, les hommes d’armes de Bérat se
rendaient. Ils jetaient leurs armes à terre et tendaient leurs gantelets à
leurs adversaires. Les archers se glissaient maintenant au milieu d’eux et
arrachaient les hommes de leurs selles. Les cavaliers de messire Guillaume
passèrent dans un grand vacarme de fer, de cris et de sabots pour courir sus à
la poignée d’ennemis qui essayaient de s’échapper par le gué. Dans un ample
mouvement du bras d’arrière en avant, le Normand frappa un traînard du tranchant
de son épée. Le coup faucha tête et casque. L’homme qui suivait immédiatement
messire Guillaume chargea, épée en avant. Une gerbe de sang l’aspergea. La tête
du mort roula dans la rivière, le corps décapité continuant sa course folle sur
le dos de sa monture.
— Je me rends ! Je me rends ! hurlait
Joscelyn en proie à une pure terreur. Je peux être rançonné !
Tels étaient bien les mots qui sauvaient les riches sur les
champs de bataille. Il les répétait à s’en casser la voix avec de plus en plus
d’urgence :
— Je peux être rançonné !
Sa jambe droite était prise sous son cheval. Son casque
retourné continuait de l’empêcher de voir quoi que ce soit. Tout ce qu’il
pouvait entendre autour de lui, c’étaient des martèlements de sabots, des cris
et les hurlements des blessés achevés par les archers. Soudain, une vive clarté
l’aveugla. Quelqu’un venait de lui arracher son heaume. Enfin, il put discerner
une silhouette debout devant lui. L’homme tenait une épée.
— Je me rends, s’empressa de répéter Joscelyn, qui se
souvint brusquement de son rang. Êtes-vous noble ?
— Je suis un Douglas du clan Douglas, indiqua l’inconnu
dans un mauvais français. Et je suis aussi bien né que quiconque en Écosse.
— Alors je me rends à vous, souffla Joscelyn, hors
d’haleine.
Il aurait pu fondre en larmes, car tous ses rêves venaient
de s’effondrer. Quelques flèches, un déchaînement de terreur et une brève
boucherie venaient d’avoir raison d’eux.
— Qui êtes-vous ? demanda Robbie.
— Je suis le seigneur de Béziers et l’héritier de
Bérat.
Alors le jeune Écossais hurla de joie.
Il était riche.
Le comte de Bérat se demanda s’il n’aurait pas dû garder
trois ou quatre hommes d’armes à ses côtés. Ce n’était pas tant qu’il pensait
avoir besoin de protection, mais plutôt qu’il avait l’habitude d’avoir toute
une suite autour de lui. Le départ de Joscelyn, du père Roubert et de tous les
cavaliers l’avait laissé seul avec son écuyer, un serviteur et les serfs qui
fouillaient la terre pour dégager le mystérieux mur. Celui-ci semblait
dissimuler une cave ou une grotte sous l’emplacement de l’ancien autel. C’était
du moins ce qu’il pensait.
Il toussa de nouveau, puis une sensation de vertige le
contraignit à s’asseoir sur un bloc de pierre.
— Venez près du feu, Monseigneur, lui suggéra l’écuyer.
Celui-ci était le fils d’un vassal, franc-tenancier [22] dans le nord du comté. Un jeune garçon de dix-sept ans, impassible et sans
imagination, qui n’avait montré aucune envie de participer à l’équipée
glorieuse de Joscelyn.
— Du feu ?
Le comte plissa les yeux pour regarder le garçon qui
répondait au nom de Michel.
— Nous en avons fait un, Monseigneur, indiqua l’écuyer
en tendant le doigt vers l’autre extrémité du caveau, où un petit brasier avait
été allumé avec les éclats de bois des cercueils.
— Du feu, répéta le vieillard qui, pour quelque raison,
avait du mal à garder les idées claires.
Une nouvelle quinte de toux le secoua. Il se mit à étouffer,
comme s’il manquait d’air.
— Il fait froid, Monseigneur. Le feu va vous réchauffer
et vous vous sentirez mieux.
— Un feu, ressassa le
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