L'hérétique
monastère. Ils attendaient encore près
de la porte, espérant sans doute quelque récompense. Dès qu’ils virent le père
abbé approcher, ils tombèrent à genoux.
Le vieux moine s’adressa au plus âgé des villageois :
— Véric, comment va ta femme ?
— Elle souffre, mon père, elle souffre.
— Dis-lui qu’elle est dans toutes mes prières, l’assura
le cistercien. Maintenant, écoutez-moi, vous tous, et écoutez bien !
Il attendit que tous les regards soient fixés vers lui.
— Vous allez immédiatement retourner au château, leur
dit-il d’un ton très solennel, et vous allez réenterrer ce mur. Vous
m’entendez ? Vous allez remettre la terre en place. Scellez
l’endroit ! Ne fouillez plus. Véric, tu sais ce qu’est une encantada ?
— Naturellement, mon père, dit Véric en se
signant.
L’abbé se pencha vers le serf.
— Si tu ne recouvres pas le mur, Véric, une nuée d’encantadas jaillira des entrailles du château. Et elles emporteront vos
enfants, tous vos enfants.
Il dévisagea l’un après l’autre tous les hommes agenouillés,
avant de poursuivre :
— Elles surgiront de la terre, arracheront vos enfants
et les entraîneront dans une danse enfiévrée jusqu’en enfer. Alors, allez
recouvrir ce mur sans tarder. Et quand ce sera fait, revenez me voir et je vous
récompenserai.
Le pauvre coffre du monastère ne contenait que quelques
malheureuses piécettes, mais Planchard les donnerait volontiers aux serfs.
— Je te fais confiance, Véric ! acheva-t-il. Ne
fouille plus. Contente-toi de recouvrir le mur.
Les serfs se hâtèrent d’obéir. Planchard les regarda partir
et prononça une petite prière en demandant à Dieu de lui pardonner son mensonge
véniel. Naturellement, il n’imaginait pas une seconde que des démons
enchanteurs vivaient sous la vieille chapelle d’Astarac. Mais il y avait une
chose dont il était certain : il fallait cacher ce que le comte avait pu
exhumer – quoi que ce fut. La menace des encantadas devait suffire
à garantir la bonne exécution du travail.
Une fois ce problème résolu, Planchard regagna sa cellule.
Quand le comte était arrivé au monastère, provoquant une soudaine agitation,
l’abbé était en train de lire une lettre apportée par un messager à peine une
heure plus tôt. La missive provenait d’une maison cistercienne de Lombardie. En
la relisant maintenant, Planchard se demanda s’il allait parler aux frères de
son terrible contenu. Il décida de s’abstenir. Puis, tombant à genoux, il se
mit à prier.
Ils vivaient, pensa-t-il, dans un monde terrifiant où le mal
régnait en maître.
Et le fléau de Dieu était venu pour infliger les pires
châtiments. C’était le message de la lettre et Planchard ne pouvait pas faire
grand-chose d’autre que prier.
— Fiat voluntas tua, dit-il tout haut. Que ta
volonté soit faite…
Le plus terrible, songea Planchard, c’était que, justement,
la volonté de Dieu était faite.
La première chose à accomplir, c’était de récupérer autant
de flèches que possible. Elles étaient aussi rares en Gascogne que les dents de
poule. En Angleterre – ou dans les territoires anglais de France –,
on trouvait toujours des réserves de flèches. On les fabriquait dans les
comtés, puis on les réunissait en gerbes de vingt-quatre pour les expédier
partout où des archers anglais combattaient. Mais ici, loin de toute garnison
anglaise, les hommes de Thomas avaient besoin d’économiser leurs précieux
projectiles. Aussi allaient-ils maintenant de cadavre en cadavre pour les
récupérer. La plupart des barbillons étaient profondément enfoncés dans les
chairs des chevaux, et ces « têtes larges » étaient pour la plupart
perdues. Mais les fûts des flèches s’extrayaient assez correctement et tous les
archers avaient dans leurs bourses des pointes de réserve ou récupérées.
Certains allaient carrément jusqu’à taillader les cadavres pour en extirper
quand même les fers à barbelures. D’autres flèches – peu,
proportionnellement – avaient manqué leur cible et se trouvaient
disséminées sur l’herbe. Celles-là faisaient l’objet de maintes plaisanteries
entre les archers.
— Tiens, une de tes pointes ici, Sam ! hurla Jake.
Passée à côté de sa cible d’un bon mille…
— Ce n’est pas la mienne, grommela l’autre. Elle doit
être à Genny, sans doute.
— Tom !
Jake avait repéré les deux cochons de
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