L'Héritage des Cathares
le regard un peu éteint et un espace entre les incisives assez large pour y glisser le petit doigt, il avait tout du balourd empâté entre les deux oreilles, mais je savais qu’il en allait autrement.
— Ugolin, l’interpella l’officier. Tu veux tâter du croisé ?
— Avec joie, Landric, répondit l’autre, un sourire carnassier sur les lèvres, en se détachant du groupe.
Mon interlocuteur fit un signe de la tête et un de ses comparses me lança une épée, que j’attrapai par le manche, comme je l’avais fait, voilà si longtemps déjà, quand Bertrand de Montbard avait posé le même geste. Je la soupesai un peu pour bien sentir son point d’équilibre, puis la fis tournoyer à quelques reprises pour réchauffer mes muscles, traçant de grands huit devant moi comme je le faisais depuis toujours. Sans avoir retrouvé toutes mes forces, je pouvais maintenir une bonne prise sur l’arme et mes bras ne tremblaient pas. Mes mains, elles, étaient encore sensibles, mais les blessures étaient refermées et je ne craignais pas qu’elles s’ouvrent à nouveau. Pas trop, en tout cas. Au pire, Pernelle les rafistolerait.
À l’unisson, les soldats reculèrent pour former un cercle autour de mon adversaire et moi. Ugolin tira son épée. Face à face, nous nous mîmes à tourner en rond pour nous étudier. Comme les miens sur lui, ses yeux dansaient sur moi sans jamais s’attarder à un endroit précis, surveillant mes moindres mouvements, évaluant mes réflexes, étudiant les attaques potentielles que trahirait ma position, cherchant une faille dans ma défensive. Je ne doutais pas qu’il avait déjà déterminé, par la façon dont je tenais la pointe de mon épée, que j’aimais attaquer à la hauteur de la tête et des épaules et qu’il était prêt à répondre de façon appropriée. Pour ma part, j’avais dûment noté que son arme était tenue un peu plus basse que la mienne, ce qui indiquait sa préférence pour une ouverture aux genoux. Mais cela pouvait n’être qu’une ruse.
Nous tournions ainsi depuis une bonne minute lorsque j’ouvris en feintant une attaque à la tête. Tel que je l’avais prévu, il fit un pas agile vers l’arrière et ma lame fendit l’air. Il ricana puis contre-attaqua. Sa lame se dirigea vers mon genou gauche. Je fis un pas de côté, l’évitant sans effort. Je n’avais toutefois pas prévu le poing, gros et lourd comme une enclume, qui s’abattit sur le côté de ma tête. Je vacillai sur mes pieds et, pendant un fugitif instant, un voile sombre recouvrit mes yeux. Une douleur vive éclata dans mon front et se propagea au centre de mon crâne, me rappelant que ma cervelle était miraculée, mais fragile.
Je secouai la tête et fis trois pas vers l’arrière, juste à temps. Vif comme un chat, Ugolin avait enchaîné son coup de poing par une attaque et la pointe de son épée frôla mon abdomen. Il passa dans le vide et alla s’affaler sur le sol, faisant lever un nuage de poussière sèche. Encore sonné, je réalisai qu’il n’entendait pas à rire. S’il en avait la chance, il me tuerait sans le moindre scrupule.
Je repris ma position de garde, sachant que je n’avais pas droit à l’erreur. Pénétré du calme profond de celui qui maîtrise la technique des armes, je laissai mon entraînement prendre le dessus. Ugolin se remit sur pied et s’approcha de moi. Je l’attendis, tenant mon épée à deux mains à la hauteur de mon torse, pointe vers l’avant, comme me l’avait inculqué Montbard. De cette façon, j’augmentais la distance à laquelle je tenais mon adversaire en respect et je le contraignais à attaquer sur les côtés. C’est ce qu’il fit, avec un étonnant alliage de vitesse et de puissance. Cette fois, j’étais prêt. Je balayai facilement les coups qu’il porta sur la gauche, puis sur ma droite. Le sourire narquois quitta son visage et il fronça les sourcils, perplexe. De toute évidence, il ne s’était encore jamais trouvé dans une situation où sa force ne lui conférait pas d’emblée l’avantage.
Plus circonspect, il recula pour reprendre son souffle. En pleine bataille, sans savoir si un autre adversaire ne surgirait pas dans la seconde, j’eusse attaqué sans attendre pour l’écarter de mon chemin, quitte à seulement l’estropier. Mais j’avais tout mon temps et peu de forces. Je préférais donc le laisser dévoiler son jeu. À voir son regard noir, il s’impatientait et, la
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