L'Héritage des Cathares
s’entrechoquaient avant que j’en aie conscience. Lorsque je parvins à l’endroit d’où ils provenaient, je souris malgré moi et mon cœur s’allégea un peu.
Un groupe d’une vingtaine de soldats s’entraînait avec enthousiasme sous l’œil critique d’un officier. Leurs torses nus luisaient sous le soleil déjà chaud du matin et les épées sifflaient dans l’air. Les attaques et les parades étaient efficaces et bien faites. Les jambes étaient agiles et les déplacements rapides. Je reconnus des soldats bien formés et compétents dont Bertrand de Montbard se serait certes déclaré satisfait.
Je m’arrêtai et me blottis dans l’ombre d’une maison pour les observer. Je me sentais envieux. À les voir suer en souriant à pleines dents, le désir d’en faire autant tirailla mes muscles, qui avaient retrouvé une bonne partie de leur tonus. Je m’attardai un moment sur deux adversaires déterminés et je me surpris à bouger instinctivement la tête lorsqu’un coup était porté, comme s’il se fût agi de moi, à calculer l’angle du coup et à identifier les zones laissées à découvert par l’élan de celui qui attaquait. Ils étaient bons. Très bons même. L’un d’eux, un véritable géant, me parut particulièrement redoutable, sa technique un peu défaillante étant amplement compensée par sa force herculéenne et le plaisir évident qu’il éprouvait à combattre. Il s’entraînait simultanément avec deux compagnons et n’était pas du tout débordé.
Emporté par le plaisir du spectacle, je perdis la notion du temps. Lorsqu’ils finirent par m’apercevoir, je fus pris au dépourvu et je maudis mon imprudence. Après avoir décrété une pause, l’officier se détacha du groupe et vint droit à moi, l’épée à la main. Derrière lui, les soldats se désaltéraient à des outres, mais tous les yeux étaient résolument fixés sur moi. Je me raidis, conscient de ce que je représentais pour les soldats cathares et du fait que j’étais sans armes.
L’officier se planta à quelques pas de moi. Les jambes écartées, la musculature féline, il était sans aucun doute capable de bondir sans avertissement et je gardai ce fait bien en tête. Il tapota la lame de son épée dans une grosse main calleuse.
— Tu es le fameux croisé de dame Pernelle, déclara-t-il en m’adressant un sourire narquois.
La remarque étant une constatation qui n’appelait aucune réponse, je me tus, m’assurant de garder en tout temps son arme dans mon champ de vision, et attendis la suite.
— On raconte que tu es un excellent soldat, continua-t-il avec un air de défiance, en me détaillant de la tête aux pieds avec un mépris évident.
Je reconnus sans aucune peine le défi dans son ton et son attitude. Il venait de jeter le gantelet à mes pieds devant tous ses hommes. Son honneur et son autorité étaient en jeu. Rien ne le convaincrait plus de reculer.
— Je suis fort aise de l’entendre, rétorquai-je. J’ai travaillé durement pour devenir un chevalier compétent. Mais j’en ai connu plusieurs qui étaient bien meilleurs que moi.
— Un chevalier ? C’est vraiment ce que tu crois être ? J’avais cru comprendre que la chevalerie impliquait le sens de l’honneur. Je me demande si les femmes et les enfants de Béziers seraient d’avis que les croisés en ont.
Les soldats éclatèrent d’un rire gras à cette nouvelle provocation. Conscient que j’avais mis le pied dans un engrenage dont il n’existait qu’un seul moyen de me sortir, je me contentai de hausser les épaules avec indifférence.
— Si tu es aussi doué qu’on le dit, pourquoi ne pas en faire la démonstration ? suggéra l’officier. Peut-être nous apprendras-tu quelque chose d’utile.
Il m’adressa une révérence lourde de dérision puis, d’un geste exagérément gracieux de la main, désigna les autres, derrière lui. J’étais pris au piège et je ne devais montrer aucun signe de faiblesse, même si j’étais encore loin d’être en état de combattre.
— Pourquoi pas ? rétorquai-je avec désinvolture.
Je l’accompagnai jusqu’aux soldats, dont l’attitude était teintée de mépris. Dans leurs yeux brillait une haine palpable. Sans surprise, l’officier s’adressa au géant que j’avais particulièrement observé. Il dépassait les autres d’une tête et, chose rare, je me sentis petit devant lui. Le nez épaté, les yeux rapprochés,
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