L'Héritage des Cathares
Regarde-moi ça ! s’exclama une voix. C’est qu’on pourrait le pendre avec ses propres tripes et il en resterait encore !
Quelques coudées plus loin, Ugolin s’arrêta derrière un arbre et me désigna du doigt quelque chose droit devant. Ce que je vis me glaça le sang dans les veines, moi dont la conscience portait pourtant plus que sa part d’horreurs.
Au pied d’un vieux pont à l’allure bancale, sept Parfaits vêtus de noir étaient attachés à des poteaux de fortune plantés dans le sable de la grève. Certains étaient debout alors que d’autres s’étaient affaissés et paraissaient inconscients. Mon attention fut attirée par un petit attroupement autour d’un des malheureux auquel on avait retiré sa robe, le laissant nu et indécent. Quelques hommes visiblement ivres ricanaient en en regardant un autre tirer les tripes d’une ouverture béante dans son abdomen. Le Parfait agonisant, le visage figé dans un rictus de souffrance, les yeux levés vers le ciel, marmonnait ce que je devinai être une ultime prière avant de rejoindre la lumière divine qu’il espérait tant. Les Parfaits qui en étaient encore capables joignaient leur voix à la sienne en pleurant.
Je secouai la torpeur horrifiée qui m’avait envahi et comptai dix-neuf adversaires. Neuf autour du supplicié, quatre qui déambulaient parmi les prisonniers et six autres assis un peu en retrait près d’un feu de camp, qui buvaient à même des outres en riant. J’allais donner l’ordre qui me brûlait les lèvres lorsque mon regard s’attarda sur une des silhouettes à l’écart. Un grand froid me parcourut le corps et j’eus l’impression que le temps se figeait en un moment éternel saturé de haine et de vengeance. La panse rebondie, les bras et les cuisses puissants. La main droite, que j’avais moi-même tranchée, remplacée par un crochet. Le sort plaçait à nouveau Onfroi sur ma route.
Instinctivement, je portai la main à ma gorge, où je pouvais encore sentir la cicatrice épaisse laissée par l’épée qui m’avait décapité, puis à mon front, où une légère cavité dans l’os me rappelait le carreau d’arbalète qui s’y était fiché. Je jetai un coup d’œil à Montbard et, à son expression, je sus qu’il avait reconnu Onfroi, lui aussi. Son œil valide brillait de haine et de quelque chose d’autre que je ne pus définir. De la surprise ? De l’émerveillement ? Je suivis la direction de son regard et constatai que, curieusement, il n’était pas posé sur le brigand, mais vers les Parfaits attachés.
Je cherchai les archers du regard.
— Abattez ceux qui sont au centre, chuchotai-je. Ensuite, tirez vos épées. Vous irez sur la gauche. Montbard, Ugolin et moi sur la droite.
Trop heureux de voir enfin de l’action après avoir passé des jours à fuir comme des lièvres devant un renard, les trois hommes se dispersèrent pour être en mesure de produire un feu croisé. Lorsqu’ils furent en place, je levai la main puis l’abaissai pour donner le signal. Le sifflement des flèches fendit le silence. Un à un, les croisés attroupés autour du supplicié tombèrent comme des mouches, frappés à la tête, dans le dos et dans la gorge, sans comprendre ce qui leur arrivait. Bien vite, il n’en resta plus que dix. Je donnai le signal. Montbard et Ugolin à mes côtés, je surgis, l’arme au poing, les archers en faisant autant sur la gauche.
Je filai droit sur Onfroi. Rien n’existait que lui. La luxure du combat, si familière et si dangereuse, m’avait envahi.
Ces hommes étaient redoutables et ne devaient en aucun cas être pris à la légère. Déjà, ils s’étaient remis de leur surprise et, lorsque nous arrivâmes à leur hauteur, ils étaient prêts à nous accueillir. Je notai au passage qu’Onfroi s’était réfugié derrière ceux qui l’accompagnaient et qu’ils s’étaient disposés en ligne pour le protéger. Le choc fut violent. Montbard, Ugolin et moi faisions face à cinq adversaires aguerris.
Deux d’entre eux m’attaquèrent de concert. Je bloquai le coup du premier, mais dus me déplacer prestement pour éviter celui du second, dirigé vers mes côtes. Anticipant une attaque vers mon abdomen exposé par ma parade, je m’accroupis et une épée me frôla la tête. Je me lançai entre les deux hommes et, faisant passer mon épée dans ma main gauche, tranchai net les tendons derrière le genou d’un de mes adversaires, qui s’écroula sur le
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