L'Héritage des Cathares
deux silhouettes immobiles comme des statues. Au même instant, une faible lumière qui semblait venir de nulle part éclaira la scène. Une femme était assise, les jambes croisées sous elle derrière une table basse, l’air altier et grave. Ses longs cheveux sombres striés de gris se drapaient gracieusement sur ses épaules. Elle portait une robe noire. Son regard était perçant et déterminé. Un homme se tenait debout à ses côtés. Il était trapu et barbu, les cheveux noirs aux boucles serrées. Un corps de travailleur manuel ou de guerrier. Il semblait harassé, las. Sa main était posée sur l’épaule de la femme. Une blessure à son poignet saignait. Il ne portait qu’un pagne et je vis qu’il avait aussi une plaie ouverte au côté. Le sang qui s’en écoulaitformait une petite rigole qui descendait le long de son abdomen. Mais il ne semblait pas souffrir. Les deux m’observaient froidement. Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils dans mon rêve ? Que me voulaient-ils ? Sur la table reposait une petite cassette en bois. Le couvercle bombé portait un motif sculpté. Une croix identique à celle que Métatron avait imprimée dans ma chair. Sur la face avant, trois serrures étaient alignées. Sans me quitter des yeux, la femme allongea le bras vers la cassette.
— La lumière est cruelle, Gondemar de Rossal, dit-elle d’une voix ferme, mais calme. Elle éclaire ce que certains préfèrent cacher et révèle la Vérité qui menace les fondations de nos certitudes. Peu ont le courage de la regarder en face.
Elle souleva le couvercle et une lumière aveuglante s’en échappa, me faisant plisser les yeux. Un tremblement secoua le sol. Autour de moi, la demeure vibra et les murs se fendirent. Des fissures s’écoula un sang épais, d’abord par fines gouttelettes puis à grands flots que buvait la terre. Les poutres qui soutenaient le plafond craquèrent dans une plainte lancinante. Un nuage de poussière envahit la pièce et m’aveugla. J’étouffais. Un vent brûlant se mit à tourbillonner autour de moi et m’enveloppa, rôtissant ma peau. La chaleur était insoutenable et j’avais l’impression que mes yeux allaient éclater dans leurs orbites.
Je m’écroulai sur le sol et la dernière chose que je vis fut la maison qui s’effondrait sur moi.
Je m’éveillai en sueur, la panique me collant à la peau. J’aperçus Montbard agenouillé près de moi, les mains sur mes épaules.
— Tu as eu un mauvais rêve, on dirait, dit-il en souriant comme une mère à son enfant apeuré. Bois. Ça te fera du bien.
Il me tendit une outre de vin que j’acceptai avec empressement. Je bus plusieurs grandes gorgées pour calmer mes nerfs à vif.
— Ta conscience est lourde, Gondemar, dit mon maître. Moi aussi, mes morts viennent me visiter la nuit. Je peux vivre avec eux parce que j’avais une raison de les tuer. La question est de savoir si tu peux en faire autant avec les tiens.
— Il est temps de partir, rétorquai-je, l’âme sombre, sachant à quel point il avait raison.
Je me levai et me dirigeai vers Sauvage, les scènes du cauchemar toujours présentes à mon esprit. Il me fallut plusieurs minutes pour les chasser.
Chapitre 20 Les spectres du passé
Nous voyageâmes deux nuits consécutives avec une prudence rehaussée par la menace que nous savions maintenant réelle. Nous prenions soin de rester à l’écart de Minerve, à l’est, et de Carcassonne, à l’ouest, ce qui nous laissait fort peu d’espace de manœuvre. Nous nous arrêtâmes avant l’aube, dans des endroits aussi reculés que possible, et passâmes la journée terrés dans les buissons comme des bêtes apeurées. En raison de la lenteur de nos progrès, nos vivres baissaient et, s’il était facile de se réapprovisionner en eau dans les ruisseaux, il en allait autrement pour la viande. J’aurais pu mettre à profit les archers qui nous accompagnaient, mais encore eût-il fallu allumer des feux pour cuire le gibier, ce qui était hors de question. Nous nous en remîmes donc aux Parfaits qui connaissaient bien les plantes dont ils tiraient leurs médicaments et qui cueillirent des champignons, des fruits, des noix et des herbes. Ce menu était loin de satisfaire les troupes - surtout Montbard, qui n’avait de cesse de maugréer en mâchonnant ce qu’il qualifiait de nourriture tout juste bonne pour le bétail - mais les rassasiait.
J’avais pris soin de détacher trois hommes en les
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