L'Héritage des Cathares
un petit garçon chassé d’une conversation qui ne concerne que les grands. Aussi frustré que perplexe, je retournai d’un pas traînant vers la troisième enceinte. Je repassai la porte sans attirer l’attention de la sentinelle, remis la poutre en place et me rendis au corps de logis.
Étendu sur ma paillasse, Ugolin ronflant tout près, les mains croisées derrière la tête, je ressassai les mêmes questions sans leur trouver davantage de réponse. Des templiers parmi les cathares, apparemment en bonne intelligence avec une Parfaite. Cela n’avait aucun sens et, pourtant, je l’avais vu de mes yeux. Et le vieux templier avait affirmé savoir qui était Montbard. Pourtant, mon maître n’avait pas fréquenté l’Ordre depuis plus de deux décennies. Il me l’avait lui-même affirmé et je n’avais pas de raison de douter de sa parole.
Je comptais sur Montbard pour m’éclairer sur la situation, mais je fus amèrement déçu. L’homme que je revis le lendemain n’était plus le même.
Comme on nous avait clairement signifié que nous devions repartir le matin, je fus debout avant l’aube, rendu las par une nuit presque blanche. Je secouai Ugolin pour le réveiller et lui ordonnai de s’assurer que tout notre monde soit prêt à partir dès le lever du soleil. Le Minervois tira son immense carcasse de sa couche et s’étira en bâillant, les yeux bouffis et les cheveux en bataille. Lorsqu’il eut retrouvé ses sens, il m’indiqua de sa grosse patte une table sur laquelle une vingtaine de miches de pain avaient été déposées avec une dizaine de fromages, des oignons et quelques outres que je devinai remplies d’eau et de vin.
— Nos hôtes ont laissé cela hier soir pour notre voyage, dit-il. Ils ont paru surpris de ne pas te voir. Où étais-tu donc passé ?
— Montbard et moi avons visité les lieux, dis-je sans mentir tout à fait. La vue est magnifique du sommet du donjon.
— Vous avez pris votre temps.
— Y avait-il presse ?
Ugolin haussa les épaules, signifiant qu’il se lassait de cette conversation, et sortit.
Je mangeai sans appétit un peu de pain et un oignon arrosés d’eau. J’achevais mon repas lorsque la porte s’ouvrit en grinçant. Je tournai la tête pour voir Montbard qui entrait. Jamais je n’avais vu mon maître dans cet état et j’en fus très alarmé. Ses traits étaient tirés d’une façon telle que le manque de sommeil ne pouvait être seul en cause. Il semblait avoir vieilli de vingt ans en une seule nuit. Son regard était hagard, ses yeux cernés, son visage blême. Il semblait hanté et je me demandai un instant s’il n’avait pas vu quelque revenant.
Il évita mon regard et se dirigea vers la paillasse qu’il n’avait pas occupée. Il ramassa la besace qu’Ugolin avait posée tout près, se la mit sur l’épaule et se retourna pour ressortir. Je l’arrêtai en lui posant une main sur l’épaule.
— Alors ? Que s’est-il passé ? Que font des templiers dans cet endroit, avec Esclarmonde ? Qu’avez-vous appris ?
Il me dévisagea longuement et je réalisai que ses lèvres tremblaient un peu, comme celles d’un vieillard.
— Que le monde n’est que mensonge, Gondemar, dit-il d’une voix qui semblait émerger d’un sépulcre sombre et froid. Depuis le début, tout est faux.
Il dégagea son épaule et sortit, me laissant interdit.
Lorsque je parvins sur la place de la première enceinte, les Parfaits étaient assemblés. Les soldats de Cabaret étaient là, eux aussi, en train de fixer leurs bagages à la selle de leurs montures. Mais notre groupe avait de nouveaux membres. Un peu à l’écart se tenaient dame Esclarmonde et les trois templiers qui, en plus de leur manteau distinctif, portaient maintenant un heaume muni d’un nasal qui leur donnait un air féroce et une cotte de mailles complète. Devant ces hommes en armure, je me sentis nu dans mes habits de paysan. Tous leur jetaient des regards à la dérobée, mais ils semblaient ne pas en avoir cure. Du coin de l’œil, j’aperçus Ugolin qui les regardait, la bouche entrouverte et l’air ahuri.
Je restai bêtement planté là, avec la détestable impression d’être dépassé par des événements dont je ne saisissais ni les tenants ni les aboutissants. Puis Montbard émergea de derrière un cheval, l’air toujours aussi troublé. Il me sortit de ma torpeur en m’appelant d’un signe de la tête.
— Nous allons
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