L'Héritage des Cathares
encore, elles étaient maigres, une épidémie de mouches à blé ayant détruit la moitié des plants. Les habitants faisant de leur mieux pour arracher une pitance à la nature, les travaux s’étiraient jusqu’à tard dans le soir et reprenaient aussitôt le soleil levé. Hagards, les yeux bouffis de sommeil, les hommes et les garçons en âge de les aider s’apprêtaient à se rendre aux champs. Les femmes, les filles et les jeunes enfants, munis de paniers tressés, allaient s’enfoncer dans les bois pour y cueillir les derniers fruits sauvages. Pernelle était là, avec les autres filles, et, comme toujours, nous nous étions volé des sourires discrets en sachant que, le soir venu, nous nous retrouverions.
Des pas de chevaux avaient d’abord retenti au loin. Circonspects, les habitants s’étaient raidis. Comme seuls les nobles et les bandits possédaient des montures, et que mon père était en voyage, l’arrivée d’inconnus ne pouvait rien annoncer de bon.
Le son du galop s’était rapproché et une dizaine de brigands avaient fait irruption sur la place du village. Tous brandissaient des épées dont le mauvais état ne changeait rien au fait qu’elles étaient bien supérieures aux pauvres moyens dont nous disposions pour nous défendre.
— Sainte Marie, Bonne Mère de Dieu, protégez-nous, entendis-je murmurer ma mère, qui se trouvait près de moi.
Le temps de le dire, les ruffians nous avaient encerclés avec une efficacité qui révélait leur expérience en cette matière puis étaient descendus de cheval. Leurs armes tendues ne laissaient planer aucun doute sur leurs intentions ou sur les conséquences de toute résistance. Apeurés, nous nous étions donc laissé faire comme des agneaux sans défense confrontés à une meute de loups. Les hommes avaient laissé tomber sur le sol leurs faux et leurs fourches.
Vêtu d’un surcot de serge brune et portant des chausses de cuir par-dessus ses braies, un homme qui était visiblement le chef de la bande s’approcha d’un pas lourd et énergique. Entre deux âges, il avait les épaules si larges qu’il semblait pouvoir y charger sans difficulté un bœuf de bonne taille. Ses mains étaient aussi grosses que des pelles à grain et paraissaient capables de tordre un cou d’un seul geste. Tout en lui était menaçant et, malgré ma peur, je me plaçai bravement devant ma mère pour lui offrir la maigre protection dont j’étais capable.
Son visage rougeaud et barbu s’éclaira d’un sourire amusé et il posa négligemment la main sur la poignée de l’épée qui pendait à sa ceinture pour chasser toute ambiguïté quant au sérieux de sa démarche. Puis il se mit à nous haranguer d’un ton rieur dans une langue étonnamment châtiée pour un truand.
— Je vous salue bien bas, bonnes gens de Rossal ! Quel plaisir de vous croiser de si bon matin ! La politesse exigerait que je me présente, mais vous comprendrez qu’il m’est préférable de demeurer discret sur mon identité. Mes compagnons et moi passions dans les environs lorsque la vue de votre joli hameau nous a irrésistiblement attirés. Vous m’avez tous l’air de bons chrétiens charitables. Comme le hasard fait bien les choses, les temps étant durs pour tous, il se trouve justement que nous sommes dans le besoin. Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir nous céder vos possessions les plus précieuses et soulager ainsi la misère qui nous afflige. Considérez-nous comme une occasion de pratiquer la charité chrétienne et d’assurer le salut de votre âme.
Paralysés de terreur, les gens du hameau ne bougèrent plus.
— Allons, allons, poursuivit le brigand. Soyez raisonnables. Je ne voudrais pas avoir à demander à mes compagnons d’insister.
Une fois de plus, les habitants demeurèrent immobiles et cois. Le brigand leva les yeux au ciel de manière théâtrale et soupira. Il avisa ses hommes et leur fit un signe de la tête.
— Soit. Puisqu’il en est ainsi. Fouillez les maisons.
Pendant que les autres continuaient à nous tenir en joue, cinq
hommes se détachèrent de la bande, chacun tenant un sac de toile. Ils se séparèrent et pénétrèrent dans les demeures les plus proches. Très vite, des bruits de casse en montèrent alors qu’ils renversaient les quelques meubles et vidaient les armoires. Un à un, ils ressortirent et répétèrent leur manège, leur sac s’engraissant à chaque maison des maigres biens des
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