L'Héritage des Cathares
habitants.
Attiré par le vacarme, le père Prelou surgit de l’église où il avait célébré dans la solitude sa messe matinale. Le prêtre avait beaucoup vieilli et, de l’avis général, aurait déjà dû être mort depuis longtemps. Ses cheveux se faisaient rares et son dos s’était encore voûté. Mais il protégeait toujours ses ouailles avec la même férocité.
— Au nom de Dieu, laissez ces pauvres gens tranquilles et retournez d’où vous venez ! s’écria-t-il en pressant le pas vers le chef des brigands.
Le regard enflammé par une sainte colère, il fit face à l’intrus et brandit le crucifix pectoral qui ne le quittait jamais. Sans avertissement, le brigand le gifla du revers de la main. Le prêtre incrédule vacilla puis se retrouva sur le derrière, une main posée sur sa joue, sa bure remontée sur les cuisses.
— Hors de mon chemin, petit prêcheur ! Va donc te fourrer ton goupillon dans les fondements ! J’entends dire que la prê-traille est portée sur ces choses.
— Lever la main sur un serviteur de Dieu. cracha le père Prelou, les dents serrées, du sang coulant de sa lèvre fendue. Sacrilège !
Sous nos regards scandalisés, le brigand dégaina son épée et en appuya la pointe sur la gorge de notre pasteur, qui cessa net ses invectives.
— Au point où en est mon âme, je peux faire bien pire si tu n’apprends pas à tenir ta langue.
Au même moment, une voix retentit.
— Onfroi ! Tu ne devineras jamais ce que j’ai trouvé !
Onfroi. Plus jamais je n’oublierais ce nom, révélé par mégarde.
Un des brigands émergea de la demeure de Papin en arborant un large sourire. Il brandit un petit sac de cuir maculé de terre qu’il laissa choir aux pieds de son chef. De l’intérieur retentirent des tintements métalliques. Je cherchai Papin des yeux et le vis pâlir distinctement.
— Tiens, tiens, ricana Onfroi. Qu’avons-nous là ?
La pointe de son épée quitta la gorge du père Prelou, au grand soulagement de celui-ci, puis fendit le sac. Des pièces de monnaie se répandirent sur la terre battue. Malgré moi, j’écarquillai les yeux à la vue de tant de richesse.
— Ventredieu ! s’exclama le chef des brigands, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, une lueur cupide dans les yeux. Voilà un bien beau butin !
Il releva la tête et nous scruta.
— À qui appartient ce sac ?
Même si tous connaissaient la réponse à cette question, personne ne dit mot. Impatient, Onfroi s’avança, empoigna la chevelure de Jehanne et la tira brutalement vers lui. Après avoir longuement et consciencieusement échantillonné la marchandise mâle du village, la pauvresse avait fini par se marier l’automne précédent et tenait dans ses bras un nourrisson dont tout le village savait parfaitement qu’il était venu à terme avant les neuf mois habituels. Le brigand le lui arracha puis la projeta au sol. Tenant l’enfant par ses langes, il le brandit à bout de bras et lui appuya le tranchant de son épée sur la gorge. Saisi par le métal froid, le petit se mit à vagir en agitant les bras et les jambes dans le vide.
Onfroi vrilla ses yeux dans ceux de la mère éplorée et d’un geste sans équivoque de son arme mima le fait de trancher la gorge du nourrisson.
— À qui appartient ce sac ? répéta-t-il d’un ton menaçant. Je ne le redemanderai pas.
— À. à Pa. Papin, hoqueta Jehanne en pointant un doigt tremblant vers le propriétaire.
À ces mots, Papin sembla se recroqueviller sur lui-même comme s’il voulait disparaître sous le sol. Deux canailles l’empoignèrent, le traînèrent vers leur chef. Onfroi lança négligemment le bébé vers sa mère, qui tendit les bras pour l’attraper, désespérée, et le blottir contre elle.
— Ainsi, tu croyais te jouer de nous, gros porc ? demanda-t-il.
— N. non. Je vous le jure, bredouilla Papin, livide et tremblant.
D’un coup, le chef des brigands déchira sa chemise, dénudant la panse repue et couverte de poils drus dont tout le village se doutait qu’elle avait été engraissée à même les efforts d’autrui. Après le passage du prédicateur, mon père, exerçant son droit de justice, avait contraint le serf malhonnête à rembourser ses victimes. De toute évidence, le vilain ne s’était pas réformé et avait trouvé moyen de conserver par-devers lui une partie du fruit de ses larcins.
Le regard sombre, Onfroi
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