L'Héritage des Cathares
qu’il savait à l’époque. Il ignorait que, dès sa naissance, le Temple avait aussi une raison d’être que seuls connaissaient ses fondateurs.
La tête penchée, le vieil homme fit quelques pas avant de reprendre.
— L’hérésie existe depuis très longtemps dans les contrées du Sud. Dès les premiers siècles de l’Église chrétienne, plusieurs de ceux qui divergeaient d’opinion avec elle fuirent la persécution
et finirent par s’installer ici en espérant y mener une vie tranquille. Peu à peu, ils sont devenus ceux qu’on appelle maintenant les bons chrétiens, que tu connais sous le nom de cathares. À l’exception de sire Bertrand et de toi-même, nous en sommes tous.
Il fit une pause et je réalisai que, malgré moi, j’étais assis sur le bout de mon siège, avide d’entendre la suite.
— Tu sais que nous considérons le monde matériel comme celui du Mal, dominé par Satan, et que la chair est une prison dont chacun doit aspirer à se libérer pour espérer retourner un jour auprès du Dieu de Lumière. Tu sais aussi que nous rejetons la foi chrétienne, que nous ne reconnaissons ni son clergé ni ses sacrements, et que nous refusons d’honorer la croix, qui n’est qu’un obscène instrument de torture. C’est pour cette raison qu’il t’a été demandé de cracher sur elle. Tu sais enfin que nous considérons Jésus comme un homme de bien dont les prescriptions indiquent la voie du Salut, mais pas comme le fils de Dieu.
Je me contentai de hocher la tête en signe d’acquiescement. Pernelle m’avait appris tout cela.
— Sire Hugues, notre maître à tous, était déjà un bon chrétien, déclara-t-il en faisant une longue pause pour me permettre d’absorber l’affirmation. Son nom, Payns, était d’ailleurs une déformation de Pagan, ce qui signifie Païen. Ses huit compagnons en étaient, eux aussi. Y compris André de Montbard, l’ancêtre de sire Bertrand.
Je jetai un coup d’œil stupéfait vers mon maître, qui me confirma d’un hochement de tête que l’homme disait vrai.
— Nous sommes tous des hérétiques, comme l’affirment les atours usuels des Templiers pour qui sait le voir.
Il désigna de la main le mur autour de son fauteuil, qui était le seul à être surélevé par trois marches.
— Que vois-tu là ?
— L’épée, l’écu et le baucent des Templiers, répondis-je tout de go.
— C’est ce que croit voir le profane que tu es encore, mais rien n’est vraiment comme il y paraît.
Sire Ravier décrocha l’écu du mur et le brandit sous mon nez.
— Sur cet écu, qui symbolise la vraie foi contre laquelle s’écrase le Mal, figure la croix pattée, que nous portons aussi sur le manteau et qui représente l’homme qui y fut crucifié. Sa couleur rouge rappelle le sang qu’il versa injustement aux mains de ses bourreaux ainsi que la vraie connaissance. Sa forme, à quatre branches égales, n’est pas celle de la croix chrétienne, que nous rejetons. Porte-le bien haut, car il te protègera désormais des ennemis de la Vérité.
Il replaça l’écu et prit l’épée, qu’il brandit de manière virile et fit siffler dans l’air à quelques reprises avec une force étonnante pour un homme de son âge.
— L’épée est l’instrument par lequel le mensonge et le Mal seront détruits. Tirée des Ténèbres de son fourreau, elle est la Lumière qui émane du Dieu du Bien et qui défend la Vérité. Tu la chériras désormais non pas comme un instrument de mort, mais de justice, une compagne fidèle et obéissante avec laquelle tu n’hésiteras pas à te lancer dans le trépas pour la Cause.
Il remit l’épée en place, tira l’étendard de son socle et l’éleva vers le plafond.
— Fait de noir et de blanc, le baucent est bien plus que le gonfanon qui rallie les templiers pendant la bataille. Noir pour la terre et blanc pour le ciel, il nous rappelle l’opposition entre le Mal, les Ténèbres et la Mort, d’une part, et le Bien, la Lumière de Dieu et la Vie éternelle, d’autre part. Il est l’incarnation de la Vraie Foi que nous partageons tous. Désormais, rends-lui hommage dans cet esprit chaque fois qu’il apparaît, car c’est lui qui guide tes pas et t’indique la Lumière.
Il me fit signe de me lever, ce que je fis. Il replaça l’étendard et tout le monde se rassit. J’en fis autant. Il reprit son bâton et l’approcha de mon visage.
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