L'Héritage des Cathares
accueillies en grand nombre. L’Ordre grandit vite. Ses exploits militaires devinrent un objet de légende et son influence s’accrut. Il s’enrichit si bien qu’il devint le principal bailleur de fonds des rois et des croisés. En endettant les rois chrétiens, les Templiers qui étaient des nôtres les contrôlaient et pouvaient influencer leurs décisions afin de protéger Jérusalem et la Vérité qui s’y trouvait. En temps voulu, il était entendu que celle-ci serait ramenée en terre cathare. Mais elle ne fut jamais révélée à tous les frères. Pour en préserver le secret et en assurer la protection, l’ordre des Neuf, du nombre même des premiers émissaires en Terre sainte, fut créé, sous la direction de sire Hugues.
Sire Ravier se leva, contourna l’autel et alla se planter près de Montbard.
— Plusieurs années passèrent sans que les Neuf soient inquiétés. Au milieu du siècle, les choses commencèrent à changer et l’emprise de l’ordre des Templiers sur la Terre sainte s’affaiblit. Puis, par incurie et orgueil, le Magister Templi Gérard de Ridefort convainquit Raymond de Tripoli d’attaquer Saladin pour reprendre Tibériade. Ainsi s’amorça une série de cruelles défaites, dont la pire fut celle des Cornes de Hattin, qui affaiblirent le Temple. Les Sarrasins prirent l’initiative. Les places croisées tombèrent une à une et, dès lors, Jérusalem elle-même fut menacée. Robert de Sablé, alors commandeur de la cité de Jérusalem, était des Neuf. Pour que la Vérité ne tombe pas aux mains des infidèles ou, pire encore, entre celles des chrétiens, il décida de l’envoyer parmi nous.
Il s’arrêta pour poser une main affectueuse sur l’épaule de mon maître, qui lui adressa un regard embrumé. Puis il reprit son récit.
— Il confia la cassette à un jeune templier fraîchement arrivé en Terre sainte, Bertrand de Montbard, membre d’une des familles fondatrices. Cet homme avait déjà été choisi pour être initié sous peu parmi les Neuf, mais les circonstances l’empêchèrent de recevoir cette grâce. Faute de temps, Sablé dut lui remettre la cassette sans qu’il en connût le précieux contenu. Il lui donna ordre de la protéger de sa vie et de la ramener en ces contrées pour la remettre entre les mains de dame Esclarmonde. Connaissant son caractère, il ne doutait point qu’il mènerait à bien sa mission. Le sachant fidèle et obéissant, il exigea de lui un sacrifice qu’il n’aurait jamais dû avoir à faire, mais qui, dans les circonstances, était nécessaire pour conserver le secret si précieux : quitter le Temple une fois sa mission accomplie et disparaître pour toujours. C’est ainsi qu’il monta de toutes pièces une accusation selon laquelle Montbard avait fui devant les Sarrasins sans ordre de son maréchal, alors que le baucent était toujours debout. Le pauvre innocent fut déclaré coupable, dépouillé de l’habit et expulsé de la maison. Dans ses maigres bagages, il transportait la cassette.
Le cœur déchiré par une infinie tristesse, je regardai mon maître, qui baissa humblement les yeux. Jamais il ne m’avait dit que, pour mener à bien sa mission de jeunesse, il avait dû accepter la déchéance et l’humiliation.
— Pour les dernières années de sa vie, poursuivit le vieil homme, Sablé porta sur sa conscience cette nécessaire cruauté. C’était en l’An du martyre de Jésus 1187.
Il tapota affectueusement l’épaule de Montbard.
— L’injustice est maintenant rectifiée. Son initiation si longtemps reportée a exceptionnellement été menée à Quéribus par dame Esclarmonde, et la Vérité lui a été révélée. Bertrand de Montbard est des nôtres, comme il aurait toujours dû l’être.
Tout à coup, je me demandai si je désirais vraiment connaître le contenu de cette cassette. Pour ébranler un homme tel que mon maître autant qu’il l’avait été après avoir passé la nuit avec les templiers, ce qu’elle contenait était de toute évidence très
grave. Mais le salut de mon âme était lié à cette connaissance et je ne pouvais courir le risque de la rejeter. De plus, j’avais juré. Il était trop tard. Le vieillard retraversa le temple et vint me rejoindre.
— Quant à toi, te voilà le premier membre profane de l’ordre des Neuf, Gondemar de Rossal. Le fait que tu n’es ni templier ni bon chrétien a posé quelques problèmes, mais, sur
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